Et ce matin, on va reparler de Nuits Debout. Vous avez dû entendre parler de l’accrochage entre Finkielkraut et la Place de la République ? Et, à cette occasion, cette critique, définitive : l’agora n’est plus publique, la Place de la République n’est pas une utopie, mais bien un lieu, avec ses déterminismes sociaux et politiques, résolument à gauche, convergence des luttes si vous voulez, mais définitivement pas une utopie.
Nuits Debout, ce ne serait donc pas non plus une uchronie, ce non-temps, permettant de réfléchir les choses et notamment la démocratie dans un temps imaginaire, bien que nous soyons le 52 mars d’un mois qui ne fait que s’étendre géographiquement, à beaucoup de provinces de France. Voilà l’essence, en version populiste, alarmiste ou intello, des critiques parfois virulentes, un édito après l’autre, que le mouvement essuie parce qu’il fait de plus en plus peur en France, à force de ne pas faiblir, à force de poser des questions qui dérangent.
Alors, posons-nous la première question, celle sur laquelle à la marge, tout le monde spécule : Nuits Debout, c’est un Podemos à la française ou bien un Syriza ? Cela peut vous paraître pareil mais c’est très différent. En Espagne, Podemos s’appuie sur les actions cristallisées dans le temps des Indignés, transformé en parti politique de gauche très très gauche. Au départ, on a donc des gens qui décident d’agir contre les expulsions, qui réalisent des happenings drôles ou terribles, artistiques, souvent, contre les banques, comme cette irruption flamenco au nom évocateur : te Quiero no Banka…
Podemos, c’est donc d’abord l’action, dans la droite ligne de ce que l’on voit aussi à Nuits Debout, cette fameuse convergence des luttes qui enchaîne les choses : la loi-travail, les migrants et le reste, dans une perspective résolument de gauche. Poussée à terme, cette logique aboutirait à la même chose : un parti anti-système de gauche, qui gagnerait probablement une force considérable aux prochaines élections, mais pas nécessairement suffisante pour diriger non plus. Avec ou sans le Front de gauche et ses personnalités qui n’ont pas convaincu jusqu’à présent. Mais ce n’est pas tout ce que l’on trouve à Nuits Debout.
Oui, on trouve aussi beaucoup, beaucoup de discours, de parole publique, de débats horizontaux renouvelés sans cesse, un jour après l’autre. Comme un rocher de Sysiphe nous explique le politologue Loïc Blondiaux, professeur à l’université Paris I dans les Inrocks. Parce que le discours et le débat, quand on refuse de hiérarchiser les sujets et les gens, parfois tourne en rond et brode sans cesse sur les mêmes thèmes.
Mais ça n’est pas sans possibles, même au niveau politique. C’est cela que j’appelle la logique Syriza : ils ont, eux aussi, discuté des mois et des mois sur des places publiques. Et quand ils se sont constitués en parti politique, ils ont eu recours le plus souvent possible et à chaque moment de crise à des référendums pour valider qu’ils étaient bien mandatés de manière horizontale pour implémenter leur politique. Alors bien sûr, ils n’ont pas réussi. Cependant, d’une crise à l’autre, d’un sursaut refondateur de la démocratie en Europe à l’autre, les risques sont de plus en plus importants… Et la possibilité de changement réel, en utopie aussi. Alors que Nuits Debout deviennent ou non un parti politique, que son avenir soit ou non politique ou seulement social, idéologique, philosophique, la vraie question est la suivante : quel est le sens, l’utilité ontologique du débat public ?
Personnellement, Credo in unum Bisounours. Je ne pourrais pas débattre tous les matins avec mes amis et chers complices si je ne pensais pas que penser le monde, le débattre, le mettre en mots et le réinventer par-là même avait un sens. Je ne pourrais pas tenter de faire une université populaire si je ne croyais pas que parler pouvait exorciser les démons de la hogra, du désespoir et du nihilisme. Au Commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu. Nommer, c’est créer. Alors je ne sais pas ce qu’il adviendra de Nuits Debout. Je sais le risque réel que ce mouvement fait peser sur mon pays, car les utopies, quand on hue un provocateur comme quand on s’exalte au sentiment d’agir, c’est dangereux, oui. Mais la liberté, ce n’est pas la sécurité, alors… Alors discuter, oui. Réenchanter un nouveau monde, un Dvorak improvisé à 300 après l’autre.
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