Banksy ouvre un hôtel. À Bethléem, en Cisjordanie. Banksy est un artiste qui nous est contemporain. Son travail a la rare qualité de parler même à ceux qui disent ne pas aimer l’art contemporain. À part qu’il serait britannique, personne ne sait qui est Banksy. Sa notoriété a passé un cap au milieu des années 2000, lorsque, déguisé en inspecteur Clouseau, il a accroché quatre de ses œuvres aux murs de quatre grands musées new-yorkais. Certaines sont restées plusieurs jours en place, avant d’être remarquées par un surveillant avisé, chargé de la bonne tenue de l’instance de légitimation de discours pictural dont il avait la garde. En 2006, dans la même veine, mais au Disneyland californien, l’artiste grimé a placé un mannequin gonflable, menotté, cagoulé de noir et vêtu de la combinaison orange des détenus de Guantanamo, à côté du passage d’un petit train du Far West. 90 min plus tard, l’attraction était fermée « pour raisons de sécurité », et l’œuvre retirée. Banksy mène aussi quelques réflexions sur le marché de l’art. Sa côte a explosé, des murs portant de ses (nombreux) graffitis ont été démontés, parfois volés, et revendus aux enchères pour plus de 800 000 euros. Peu de temps après, sans prévenir personne, il a confié pour 24 h un stock d’originaux sur toile ou papier à un vendeur de rue au bord de Central Park. 30$ pièce. Pas une œuvre n’a été achetée.
Mais, le week-end dernier, Banksy a annoncé son retour en Palestine — il y est déjà intervenu, sur le Mur, notamment — et l’ouverture, le 11 mars, du Walled Off Hotel. Avec l’aide du Palestinien Sami Musa et de la Canadienne Dominique Petrin, ils nous proposent l’hôtel avec la pire vue du monde. « Pour les plus exhibitionnistes d’entre vous, sachez que vous êtes à portée de regards d’un mirador de l’armée », est-il précisé sur le web. Voir et être vu. C’est l’hôtel du Panoptique, en somme. Différentes œuvres d’art nous sont proposées pour nos séjours : les chambres d’artistes, les scéniques ou la suite présidentielle « avec tout ce dont un chef d’État corrompu aurait besoin », et où le ballon d’eau chaude électrique, de récupération, trône fièrement au-dessus du jacuzzi. Si, si. L’offre budget permettra aux moins aisés d’entre nous de profiter, pour seulement 30 $ la nuitée, d’une expérience inoubliable dans un dortoir entièrement équipé de surplus de l’armée israélienne. Les bouchons d’oreilles sont aimablement offerts par la direction — la région est connue pour ses nuits bercées du son des armes automatiques.
Les espaces communs sont ouverts au public. Un piano-bar colonial nous permettra de rendre l’hommage dû au centenaire de la prise de possession de la Palestine par la Grande-Bretagne, en 1917. Les trophées de chasse suspendus aux cloisons sont des caméras de surveillance. Différents musiciens, non des moindres, sont annoncés : le Palestinien Ramzi Shomali en compagnie d’Elton John, pour le gala d’ouverture, puis des gens comme 3D, de Massive Attack, ou Fatboy Slim. Rien que ça. La galerie, par ailleurs, nous donnera à voir une collection d’œuvres d’artistes palestiniens de ces vingt dernières années, dont celles de Sliman Mansour. De ce dernier, on peut admirer sur le site And the Convoy Keeps Going, figurant, au premier plan, une fresque dans le style des arts révolutionnaires cubains ou mexicains : de profil, hiératiques, un jeune homme serre un fusil et un rameau d’olivier, tandis qu’une jeune fille avec une clef — de réfugiés — et une jeune femme au voile virginal, livre, plume et pinceau de la Culture en main, accompagnent une colombe de la paix. À l’arrière-plan, on observe une plage, où s’ébat paresseusement une horde de touristes aussi indifférents que grassouillets, limite Botero. C’est sans aucun doute la clef de lecture pour saisir le Walled Off Hotel. De l’autre côté du Mur, les tours operators ont un très sérieux et très fructueux business de séjours spa, plage et rave parties, tout compris, avec visite de lieux saints en prime. Pour VIP aussi. On se souvient de Sara Palin, précurseuse remarquée de Donald Trump en politique, découvrant sur place, en 2011, que Bethléem était « encore » aux mains « des musulmans », et ne voulant pas — faute des papiers nécessaires, imagine-t-on — traverser le checkpoint.
Fatboy Slim, donc. En 2001, le maître du big beat nous livrait son impérissable Star 69.
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