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Ce que nous sommes


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Les hasards de la lecture m’ont fait croiser le chemin du projet de Constitution marocaine du 11 octobre 1908. Il s’agissait alors d’une tentative désespérée de l’élite intellectuelle du Royaume d’échapper au protectorat annoncé et au dépeçage du Maroc au bénéfice des intérêts français et espagnols. Comme vous le savez, cette ultime tentative de modernisation de l’Etat marocain a achoppé et la convention de Fès instaurant le protectorat français sur le Maroc fut signée le 30 mars 1912. Si cette Constitution avait été promulguée, le visage du Royaume en aurait certainement été fondamentalement bouleversé.

Même avortée, cette Constitution a quelque chose à nous dire sur ce que nous sommes et ce que nous pourrions être. Notamment en ce qui concerne l’éducation, la place de l’individu au sein de la communauté et de la religion dans la société. Concernant l’éducation, cette Constitution pose certains principes que nous serions bien inspirés de retrouver aujourd’hui.

Il y est notamment affirmé qu’il appartient au Ministère des Sciences de créer des écoles dans toutes les villes et toutes les tribus du Royaume et que l’enseignement doit être gratuit dans toutes ces écoles. Les dépenses afférentes au fonctionnement de ces écoles doivent être prélevées sur le trésor de l’État, sur les revenus du domaine public et sur la nation et en particulier sur les plus riches. Demander plus à ceux qui ont plus.

S’agissant du corps enseignant, il y est précisé que les professeurs sont choisis parmi les nationaux réputés pour leur culture et les étrangers titulaires de diplômes délivrés par des écoles célèbres, sans que leur nationalité et leur religion ne soient prises en considération. Bref, peu importe la couleur du chat, l’essentiel est qu’il puisse attraper des souris. Rien de tel chez nous, peu importe le rendement du chat, ce qui compte c’est qu’il soit bien de chez nous.

Ainsi, aujourd’hui nous recrutons en quelques jours des bataillons de contractuels sans expérience, réputation ni mérite pour les mettre immédiatement face à des dizaines d’élèves. Ils sont enseignants faute de mieux. Que peut-on raisonnablement attendre, exiger d’eux ? Pas grand-chose, les souris peuvent continuer à danser ! Il est enfin affirmé que tout national ou étranger, désireux de propager la science, peut créer une ou plusieurs écoles scientifiques, industrielles ou autres. Ces écoles étrangères ne seront pas sous le contrôle du Ministère des Sciences et les parents ont le droit d’y envoyer leurs enfants.

Bref, en ce qui concerne l’éducation, 1908 pour nous c’est l’avenir. Vivement le début du 20ème siècle ! Les libertés publiques ne sont pas en reste puisque cette Constitution pose avec clarté que tout Marocain a le droit de jouir de sa liberté individuelle à condition qu’il ne porte pas atteinte à autrui et à la liberté d’autrui. Il est précisé que  liberté individuelle consiste pour chacun à faire, à dire et à écrire ce qu’il veut, sous condition du respect de l’ordre public.

Par comparaison, la Constitution actuelle dans son article 22 conditionne la jouissance des droits et libertés par le respect des constantes et des lois du Royaume. Or nous savons que parmi ces constantes et ces lois, il y a des dispositions reconnues par toutes et tous comme manifestement liberticides. L’Islam est posé comme religion d’Etat mais il est tout aussi clairement posé que toutes les religions connues sont respectées sans distinction. Leurs adeptes ont le droit d’exercer leur culte en toute liberté à condition de respecter l’ordre public.

S’agissant de l’organisation administrative du royaume, il est utilement rappelé que les fonctionnaires du Makhzen, grands ou petits, sont dans la même condition que les autres sujets du Roi et supportent les impôts et les obligations fiscales. Aucun privilège donc, pas même pour celles et ceux qui détiennent une parcelle de souveraineté. La même loi pour tous sans distinctions de rang ou de classe sociale. Ce projet de Constitution se proposait également d’abolir dans tout le royaume le fouet et la torture par n’importe quel moyen, et tout procédé contraire à la civilisation et à la dignité comme par exemple le fait de filmer quasi nu des individus placés sous main de justice.

Des films en 1908 ? Est-ce bien sérieux ? Mais bien sûr, je vous le dit les yeux dans les yeux. Il était tout à fait possible de filmer en 1908, n’oubliez pas en effet que les frères Lumière ont tourné leur premier film à Lyon le 19 mars 1895 à 18 heures. Je vous le concède toutefois bien volontiers, un tel projet au Maroc en 1908 à l’air d’une fiction. Il a pourtant bel et bien existé même si le Maroc à l’époque a finalement préféré le protectorat à l’émancipation, la tradition à la modernité. Il est à nouveau temps de choisir. Ne faisons pas la même erreur une seconde fois.


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