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De l’élite et du populo


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Hier soir, je présentais, comme souvent, un café littéraire dont le sujet tournait autour d’Averroès. Or ce grand philosophe, médecin et cadi de notre nostalgie andalouse considérait qu’il ne fallait pas demander au vulgaire de comprendre le monde d’une façon élevée, de telle sorte qu’il n’était pas question, finalement, de s’embarrasser de le lui expliquer.

Pour le populo, alors, la religion et le dogme suffisait bien à justifier les mystères que l’élite, elle, s’attacherait à comprendre à travers la raison et la philosophie. Et, merveille des merveilles, il n’y aurait alors pas contradiction dans les termes, car le philosophe comme le croyant dogmatisé en viendrait, chacun à son niveau, à la compréhension du divin car une vérité n’en contredit pas une autre.

Or, pour la majeure partie des croyants, musulmans ou chrétiens de son temps et d’après, la pilule a du mal à passer. Pas que le populo soit un tantinet betassou, non, ça, ça paraît naturel à beaucoup, y a qu’à voir ce qu’Umberto Ecco fait dire à l’un de ses personnages du savoir, rendu inaccessible par sa nature même au commun, dans le Nom de la Rose. Bon, en même temps, Ecco tendait à se lamenter d’être lu par des imbéciles, seule explication rationnelle selon lui au fait que ses romans aient du succès.

Mais ne nous égarons pas : que les imbéciles pullulent, y a pas qu’Audiard qui le dise et tout le monde, religieux y compris, adhère à la théorie. Mais que d’autres puissent en revanche légitimement se poser des questions et vouloir, se faisant, développer leur propre idée du monde… C’est dangereux, ça, limite hérétique, quand on y pense. Et on n’est pas bien sûr, à la réflexion, que la raison amène les philosophes à croire aux mêmes principes que les autres en les remettant en cause.

Bref, faudrait limiter au maximum les tentatives de réflexion. Les tuer dans l’œuf dès qu’on les voit poindre et proposer, à la place, une vérité simple et efficace, pas contestable du monde. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui, en politique, en religion ou ailleurs, pensent exactement la même chose. Le populisme n’est rien d’autre, après tout. Enfin, avec cette petite ironie induite qu’on s’imagine toujours que l’imbécile, c’est l’autre, évidemment. Mais le paradigme a pourtant bien changé.

Je veux dire, avant, on pouvait facilement distinguer le vulgaire de l’élite : l’élite savait lire, ça en faisait d’office une exception. Alors c’est vrai qu’au Maroc, on a encore tendance à prendre les femmes pour des lapins de 6 semaines, raison pour laquelle on ne s’embarrasse pas toujours de l’éduquer, mais concrètement, il n’y a jamais eu autant d’intellectuels sur la planète qu’en ces temps modernes.

Et pourtant, nous sommes pourris d’une élite généralement autoproclamée qui se pense supérieure au populo, que ce soit chez certains croyants qui s’attribuent seuls la capacité d’interpréter les textes sacrés, généralement au plus près du bonnet, ou chez nos politiques, pour qui les journalistes ne devraient pas s’embarrasser de se poser des questions. Seulement, allez faire comprendre aux gens qu’ils sont bêtes, c’est pas coton. Pendant longtemps, on avait l’autorité pour soi, et ça limitait les velléités d’expression.

Remarquez, maintenant, on a l’expertise et la valorisation des compétences. Ça revient au même. Et malgré cela, la masse se pique de penser par elle-même, c’est tout de même pas croyable, cette outrecuidance ! D’ailleurs, regardez les réseaux sociaux : le résultat n’est pas joli-joli. Tout dans l’émotionnel, rien dans le rationnel…

Je suis née à une époque exceptionnelle, où l’on pensait sincèrement que la culture devait appartenir à tous, où la pensée singulière devait être respectée, où un homme, quel qu’il soit, devait être, au plus près des symboles et de la loi, l’égal de l’autre. Bien sûr, c’est naïf et ça ne marche pas vraiment, y aura toujours des gens plus égaux que d’autres. Mais on y croyait suffisamment pour permettre l’émergence d’une magnifique créativité et la mobilité sociale. Que l’on en revienne naturellement à penser aujourd’hui que le réalisme, c’est de traiter la masse en imbécile me terrifie. Dans un monde où l’accès au savoir est relativement simple, ce n’est pas un simple retour en arrière, c’est une négation du réel et ça amène à des aberrations.


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