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Demain, la Marche Verte


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C’était un 6 novembre 1975… La Marche Verte. Quarante ans, déjà !

Pourtant, et c’est là bien leur paradoxe, et leur beauté, peut-être la seule, au fond, – les souvenirs, ces événements enfouis dans l’âme, d’un peuple, d’un humain, les souvenirs n’ont pas d’âge… Ils ont le pouvoir de remonter, le long de la mémoire, de la mémoire et du corps… L’instant venu, tout revient, et tout redevient.

Alors, il n’y a pas que les hommes et les femmes, qui étaient les adultes, les grands, les faiseurs et témoins de cette Histoire, qui se souviennent… Nous fûmes, gens de notre génération, des enfants, qui, à leur manière, se rappellent, de ce qu’ils ont vu, entendu…

Les enfants, devenus les femmes et les hommes d’aujourd’hui, – nous allons vers nos demi-siècles respectifs, mais non sans le respect de ce temps qui fut pour nous comme une sorte de grande fête, ce moment où l’Histoire faisait, dans la liesse, irruption dans nos vies, où la grande Histoire de ce pays revenait pour donner congé à la routine ! Premier souvenir, d’ailleurs, celui d’un moment exceptionnel, qui avait transformé notre quotidien d’écoliers, comme un air de vacances qui soufflait sur nos emplois du temps !

La veille, n’avions pas vu, au journal télévisé, comment des camions entiers, remplis non pas d’Hommes, mais de rires et de saluts que nous envoyaient des milliers de mains, comment, depuis les hélicos, tous les nôtres n’étaient plus qu’un drapeau rouge et vert, traçant sur le sable, un immense sourire, un visage joyeux, sûr de la victoire qui ne pouvait pas ne pas advenir…

Nous, nous étions enfants, nous étions là, assis, au plus près de l’écran, – chaque visage nous étant devenus familier – miracle de la symbiose, nous reconnaissions des Hommes que nous ne connaissions pas ! Mais faut-il absolument connaître le nom de ceux qui forment votre unique famille…

Alors, devant nos postes de télévision, nous étions unis, nous étions devenus égaux, la hiérarchie sociale ne jouant plus son mauvais rôle qui consiste à séparer, placer les uns au dessus, les autres en dessous, là, plus de maître, plus de valet, la grande Marche de ces centaines de milliers de patriotes nous avait enfin ramené à la simple dimension de marocains fascinés, fiers et médusés !

Pour preuve : dans nos maisons, tous les commentaires, toutes les paroles, tous les mots se disaient avec les yeux… Et nos regards, que traduisaient-ils ? Qu’eux, là, ces centaines de milliers, là, l’avaient fait !

Ils s’étaient levés, comme un seul Homme… Il avait suffi d’un mot du Roi pour que, d’un coup, plus rien ne les retienne chez eux ! Tous, – nous le saurions plus tard, représentant, par le nombre, ce que la Nation donnait d’enfants, en une seule année…

Comme une moisson annuelle de valeureux partis récolter leur terre. Voilà, en vérité, le nom de ceux qui marchaient ! Peut-être faut-il avoir été un enfant, en novembre 75, pour se souvenir que nous étions, d’un coup, devenus des patriotes, que le drapeau était fait pour être hissé, protéger les visages du vent et du sable, qu’un drapeau, ça bouge, ça marche, ça vit !

Comme si, pour un enfant, un moment politique se devait de procéder d’une sorte de joyeux, mais non moins puissant animisme ! Comme si l’évènement était l’avènement narratif par excellence. Quelle belle Histoire que celle de la Marche Verte ! Ce moment conjuguant l’innombrable et le chant, la joie et la gravité.

Alors, oui, quarante années après, l’on se prend à vouloir devenir de nouveau ces enfants ; alors que les moyens de sublimer cette Histoire ne manquent pas, ne faut-il pas lui rendre sa magie, la rendre, telle quelle, à nos fascinations qui ne demandent qu’à être rétablies dans leur droit le plus légitime, celui de rêver, encore, à ces Hommes, à ce moment, de remplir nos mémoires comme on le fit de ces milliers de camions, de tracer un chemin autre, ici et maintenant, – avec des fêtes, des cérémonies, joyeuses, avec l’enthousiasme qui nous fera donner à la Marche Verte, quarante années après, le nouveau quarantenaire qui, du haut de son exigence, heureuse, nous appelle déjà.


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