Bon, on ne va pas se voiler la face, ce qui se passe en Catalogne est grave. Certes, l’indépendance d’abord proclamée par le président catalan a tout de suite été suspendue «pour quelques semaines», suite aux menaces très dures du gouvernement espagnol, qui n’entend pas du tout laisser l’une de ses plus riches régions faire sécession, il n’empêche que la question est posée sur la table en des termes qu’il devient impossible d’ignorer : pour Carles Puigdemont, la Catalogne se dirige vers un modèle slovène, quand, après un conflit rapide mais marquant, la Yougoslavie est contrainte par la communauté internationale de reconnaître la Slovénie.
Alors évidemment, la Catalogne espère faire plier l’Espagne sans conflit armé mais l’idée est la même et elle est à la mode : on appelle cela l’auto-détermination des peuples. Ah et aussi, la régionalisation avancée. Ah, et aussi, l’identité. Ah, et aussi, la conséquence de la mondialisation. Si, si, je vous assure, dans le contexte, tous ces termes sont presque synonymes. Eh oui, dans un contexte d’affaiblissement des nations, d’une part parce que des organismes supranationaux prennent le dessus, d’autre part, parce que le modèle nationaliste européen n’est plus le seul sur la place, les peuples veulent revenir à une identité simple et fantasmée, qui leur donnerait une place dans le monde. Et là, on a recours à l’Histoire.
Or trouver de bonnes raisons d’expliquer qu’on est historiquement fondé à faire sécession est très facile… Tout comme il est enfantin de dire exactement le contraire. Sur ces affaires comme pour le reste, l’histoire retenue sera celle des vainqueurs. Mais, plus souvent que le contraire, la fameuse communauté internationale intervient, directement ou non, en faveur de l’auto-détermination des peuples, un principe érigé en droit de l’Homme, ou presque et qui va déliter les nations les unes après les autres.
Ahhhh, y a pas qu’eux, mais c’est vrai que quand la Belgique ne peut plus former de gouvernement durant presque deux ans, que l’Espagne se retrouve au bord de la guerre civile (et ça la connaît, l’Espagne, la guerre civile) et même que la Grande-Bretagne pourrait n’avoir bientôt de vraiment grand que l’Angleterre, c’est pas mal. Ça évite de voir se lever une Europe unifiée. Oui, parce que bizarrement, l’Europe, ça fonctionne en communautés de nations, sinon, bah… D’ailleurs, c’est l’idée un peu partout : Kurdistan là-bas, Sud Soudan ici, les partisans d’une terre unifiée et où nous serions tous frères apprennent vite à se garder à droite et à gauche.
Et les arguments sont les mêmes, de part et d’autre, tout en changeant radicalement de sens : là où les Bisounours veulent la fin des frontières pour que tout Homme né libre puisse vivre où il l’entend, en harmonie avec tous ses voisins, la communauté internationale veut bien abattre les frontières, mais surtout pour le pognon. Pour le reste, si chacun pouvait rester chez soi et ne disposer d’aucune autonomie économique, ce serait pas mal. Mais, attention, l’identité ethnique, religieuse, régionale, culturelle, enfin, serait respectée en plein : z’inquiétez pas, z’avez raison, ils ne sont pas comme vous, vos voisins. Séparez-vous, on s’occupera de faire le lien côté business !
On est en train de se faire avoir comme des bleus, avec cette histoire d’identité qui nous dresse les uns contre les autres et désigne vos frères en autre différent, irréconciliable, méchant, même. L’identité n’est pas fragile, pas plus d’ailleurs que la féminité ou la virilité, dont on nous rebat les oreilles qu’elle est attaquée par des valeurs venues d’ailleurs. Pendant longtemps, l’identité, on en faisait comme M. Jourdain faisait de la prose : sans se poser de questions, quand on papotait et qu’on disait naturellement, tu sais, moi je viens de là et dans ma région… Et puis c’était fini. Mais maintenant, non, faudrait qu’on soit estampillés, et pas n’importe comment : seulement les purs, les vrais. Sauf que l’AOC, c’est pour les fromages, pas pour les Hommes. Sinon, le sang coule, toujours, c’est juste une question de temps.
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