C’est une question d’universalisme, disent-ils. Pascal Bruckner est de ces « nouveaux philosophes », qui, comme Bernard-Henri Lévy, à la fin des années 70, avaient investi la scène médiatique en chevauchant une idée simple : être « anti-totalitaires », dénoncer tant le nazisme que le stalinisme. Ces courants étant, à l’époque, soit finis, soit finissants, on mesure le courage de l’affichage d’une telle position. Venu de la gauche — il avait flirté, de loin, avec le maoïsme, juste après 1968 —, Bruckner se définit aujourd’hui comme un libéral. Il a d’ailleurs publié l’an dernier un livre sobrement intitulé La Sagesse de l’argent. Dans l’entre-deux, il s’était fait remarquer en 2003 en étant de ces rares Français à soutenir l’invasion américaine de l’Irak. Pour lui, visiblement, le danger totalitaire n’était pas dans l’interventionnisme botté, mais plutôt dans la critique de la politique anglo-américaine par Jacques Chirac. Nous voici devant la meilleure définition du néoconservatisme à la française. On retrouve ainsi notre idéologue télévisuel à la fondation de la revue Le Meilleur des mondes, qui se donnait pour objectif de dénoncer l’américanophobie — terrible plaie française, à l’en croire — ainsi que le « totalitarisme » du « fascisme vert », sans oublier l’antisionisme — forcément assimilé à de l’antisémitisme — et, enfin, ce qui est décrit comme les « archaïsmes » de la gauche. La revue a été publiée, par les éditions Denoël, de 2006 à 2008.
On ne peut donc guère s’étonner de voir ces jours-ci M. Bruckner agiter sa chemise blanche (un peu mieux boutonnée que celle de BHL, il faut l’avouer) sur les plateaux TV et radio parisiens pour nous vendre son dernier volume au titre éloquent : Un Racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité (Grasset). Rien de neuf dans la thématique, de celui qui, en 1983, déjà, publiait Le Sanglot de l’homme blanc, où il vilipendait une soi-disant « auto-culpabilisation » de la gauche occidentale devant son histoire coloniale. On voit que l’idée a, depuis, fait son chemin dans les sphères politiques. Mais passons et résumons-nous : selon Bruckner, la France souffrirait d’américanophobie, donc, tandis que l’islamophobie serait purement imaginaire. Il reconnaît bien, du bout des lèvres, qu’il faut condamner les racismes contre les Arabes ou contre les musulmans, mais il récuse le terme d’islamophobie, dans lequel il ne veut voir qu’un outil qui interdirait ce qu’il appelle une critique des dogmes de l’islam, ou la publication de caricatures racistes — dont on apprend, en l’écoutant, que cela ferait partie d’une constructive démarche académique de refondation. Soupir.
En 2015, sur les ondes de France Culture, il tombait d’accord avec Caroline Fourest pour analyser une fragmentation de la gauche française en différents camps : il y aurait une gauche « antitotalitaire » — la seule bonne selon eux, on s’en doute — face à une gauche « tiers-mondiste » — qui pècherait par sentimentalité, évidemment — et à laquelle Caroline Fourest rajoute une gauche « communautariste », ce que Bruckner ne commente pas — peut-être par crainte de faire de l’américanophobie, le saura-t-on jamais ?
À cette analyse des divisions de la gauche, une réponse très pertinente nous vient de l’université de… Tel Aviv. En 2016, les éditions La Découverte ont publié la traduction d’un ouvrage de l’historien Shlomo Sand, La fin de l’intellectuel français ? — avec un point d’interrogation et sous-titré De Zola à Houellebecq. Sand dédicace son ouvrage à « Simone Weil, André Breton et Daniel Guérin », qui, pour lui, font partie, comme George Orwell, des très rares penseurs qui ont « tenu bon face aux trois plus grands crimes du siècle : le colonialisme occidental, le stalinisme soviétique et le nazisme allemand ». Par ailleurs, Sand n’aime pas le mot antisémitisme. Il rappelle que s’il y a des langues sémites — qui n’ont jamais été parlées en Europe —, il n’existe pas de race sémite. Aussi, il préfère parler de judéophobie ainsi que d’islamophobie. Il est vrai qu’ainsi présentées, les choses sont tout de suite plus claires. Somme toute, on pourrait préférer au dangereux universalisme radical des Bruckner en bottes, cet universel modéré d’un chercheur à son bureau, qui a le très rare mérite d’être sensible à tous.
Le 19 septembre 2001, huit jours après les attentats, la très américaine Laurie Anderson donnait un concert au Town Hall de New York, où elle a repris dans une ambiance toute particulière son célèbre O Superman, dont le texte interroge l’espérance placée dans le complexe militaro-industriel, appelé « Mom ».
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