« Quand de Gaulle était la cible d’une “fatwa chrétienne” », titre, brillamment, L’Obs pour rendre compte de la sortie d’un ouvrage de l’historien Jean-Noël Jeanneney sur l’attentat du Petit-Clamart. Le 22 août 1962, la Citroën DS présidentielle essuie des tirs d’armes automatiques. Sur 187 coups de feu, 14 touchent la voiture. Le général et son épouse sont indemnes, et sauvés in extremis par les excellents réflexes du chauffeur. On le sait bien au Maroc, certains chefs d’État ont la baraka.
Très vite, les coupables sont identifiés. Il s’agit de membres de l’OAS, l’organisation terroriste française qui n’accepte pas l’indépendance de l’Algérie, signée le mois précédent. Comme Daech aujourd’hui, son drapeau est de lettres blanches sur fond noir. Les quatorze hommes du commando sont menés par le lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry, polytechnicien de formation. L’un de ces fanatiques de l’Algérie française considère qu’ils sont des « catholiques pratiquants » convaincus d’accomplir un « tyrannicide légitimé par l’Église » (sic).
Qu’ils soient, pour certains, pratiquants, soit. Que leur action soit légitimée par l’Église, voilà qui est beaucoup plus douteux. Claude Liauzu, dans son Histoire de l’anticolonialisme en France, rappelle que l’institution ecclésiale a — relativement — tôt pris ses distances d’avec l’asservissement des non-Européens. En 1919, une encyclique de Benoît XV voit dans la confusion entre les intérêts des puissances coloniales et ceux de l’Église la « peste la plus affreuse ». En 1930, le père Délos, théologien, se demande : « l’expansion coloniale est-elle légitime ? » Il faut tout de même le mouvement personnaliste et sa revue Esprit pour passer du doute, durant l’entre-deux-guerres, à l’engagement, en 1946, avec le journal Témoignage chrétien — dont le rédacteur en chef entraîne un François Mauriac, prestigieux Nobel et éditorialiste au Figaro, dans la dénonciation de la répression au Maroc, en 1952. C’est qu’en 1948, Monseigneur Chappoulie, Primat des Gaules, a déjà annoncé que « le temps est révolu des impérialismes dominateurs. » Bien plus prévoyant que beaucoup d’intellectuels de gauche, l’épiscopat choisit le camp des « autochtones », à Madagascar ou en Indochine.
Même si une majorité de fidèles donne la priorité à l’anticommunisme, nous sommes déjà loin de Bastien-Thiry. L’action de l’OAS s’explique donc beaucoup mieux par ce qu’Albert Memmi appelle, huit ans avant le Petit-Clamart, la « tentation fasciste » du colonisateur, dont l’expérience le conduit à considérer que « les difficultés sont résolues par le servage complet des gouvernés ».
Nous venons de voir, en France, un homme politique gagner son statut de candidat à la présidentielle en s’appuyant, entre autres, sur une part du vote catholique. Il nous reste à savoir laquelle. François Fillon a fait ses meilleurs scores auprès d’une bourgeoisie de province dont on estime, généralement, que la pratique se maintient autant par foi que par attachement à un marqueur social, suivant les cas. Mais l’ancien Premier ministre compte parmi ses soutiens déclarés, des gens issus de ce l’on pourrait appeler un nouveau « catholicisme identitaire », qui s’est cristallisé autour de la Manif Pour Tous. Si l’on imagine mal une Frigide Barjot en pasionaria d’une nouvelle OAS, le cas de Valérie Boyer, très officielle porte-parole du candidat Fillon, est plus problématique. Son CV laisse envisager qu’elle pourrait ne pas être insensible à la tentation d’un néo-maurrassisme. Dans une version plus républicaine, sans doute, mais qui est très en phase avec la tendance internationale à un renouveau de la politique ethnocentriste. En 2007, l’ancien mentor de François Fillon, Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était lui-même candidat, avait osé déclarer à Toulon que : « le rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc… Il suffit d’unir nos forces et tout recommencera ». Ce qu’à Dieu ne plaise ! Allah yehfad !
En 1998, Alain Bashung, sans doute le plus sous-estimé des chanteurs français à succès, publiait son très exigeant album Fantaisie militaire.
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