En son article 47, la Constitution marocaine de 2011 dispose que « le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats ». Et c’est très exactement ce qu’a fait le roi Mohammed VI, dès le 10 octobre dernier, 24 heures seulement après l’annonce des résultats définitifs du scrutin du 7 octobre.
La légalité constitutionnelle était respectée, mais aussi la méthodologie démocratique, comme le veut la terminologie socialiste. En effet, le Chef de l’État a désigné en tant que Chef du Gouvernement chargé de former le gouvernement le Secrétaire général du parti arrivé en tête, en l’occurrence Abdelilah Benkirane, chef du PJD, qui a remporté 125 sièges et s’est classé premier.
Depuis, cela patauge. Abdelilah Benkirane ne réussit pas à rassembler une majorité autour de lui. Il n’est, jusque-là, arrivé qu’à s’assurer de l’alliance inconditionnelle du PPS de Nabil Benabdallah et de l’Istiqlal de Hamid Chabat, ce qui lui accorde 183 députés, alors que la majorité absolue pour former un gouvernement stable est de 198.
Il a reçu un accord du bout des lèvres, et conditionnel, de l’USFP, et il a aussi la déclaration d’intention, encore plus conditionnelle, d’Aziz Akhannouch, nouveau Président du RNI, qui entraîne avec lui l’UC et le MP, avec 83 députés au total.
Dès lors que Benkirane refuse tout compromis préalable à un accord d’adhésion à la majorité, on se retrouve dans une impasse politique, laquelle bascule de plus en plus lourdement dans la crise institutionnelle, la crise politique. Que faire ?
Certains estiment que si la situation perdure, le Roi pourrait avoir le choix entre désigner un autre Chef du Gouvernement au sein du même PJD. D’autres suggèrent de passer au parti qui s’est classé second. Mais ils sont de plus en plus nombreux à envisager un changement de la Constitution, plus tard, pour clarifier la situation.
Quel est l’objectif de cet éventuel amendement? Institutionnaliser le passage au second parti si le premier ne parvient à réunir une majorité autour de lui. Ce serait une hérésie démocratique. Comment, en effet, appeler les citoyens aux urnes, les faire déplacer un jour ouvrable, les faire voter, leur faire désigner un vainqueur, puis lui confisquer sa victoire si une majorité de partis se liguent contre lui ? C’est ce qui a d’ailleurs failli se produire dès le 8 octobre, quand le PAM avait regroupé plus de la moitié des électeurs pour élire un président de la Chambre des représentants. Ce que Benkirane n’a d’ailleurs pas hésité à qualifier de putsch contre les institutions. Ce en quoi il a raison.
Or, la souveraineté populaire n’appartient pas aux partis, mais au peuple, comme son nom l’indique. Et quand le peuple décide qu’un parti est premier, on ne peut lui en imposer un autre à la présidence du gouvernement.
Non, la solution n’est pas d’amender la Constitution, mais d’en respecter l’esprit. Et l’esprit est de préserver le choix citoyen quant au parti classé premier. Si son chef ne réussit pas à convaincre, cela doit amener le parti en question à se poser des questions sur lui-même, son chef, et aussi sur sa capacité à mobiliser. Être premier, cela confère des droits, mais aussi des obligations, nos partis semblent oublier ce principe constitutionnel trop négligé.
Et si Abdelilah Benkirane ne parvient pas à mobiliser les partis autour de lui, c’est que c’est sans doute sa personnalité qui constitue un frein. Trop rugueuse depuis le début, en 2011, soudain hautaine, condescendante, voire méprisante, depuis la victoire du 7 octobre.
Non, la Constitution ne doit pas être changée, le roi ayant plusieurs cordes à son arc : désigner un autre dirigeant du PJD, que le PJD serait inspiré de recommander au lieu de s’accrocher à Benkirane et d’approfondir la crise politique dans laquelle nous nous trouvons.
Il peut également intervenir en sa qualité de garant des institutions pour fluidifier les choses et rapprocher les positions ainsi que l’a reconnu le même Benkirane pour l’adhésion du RNI à son gouvernement en 2013, quand il avait expliqué que ni lui ni Mezouar ne voulaient d’une telle alliance, mais que le roi avait facilité les choses. Ce n’est qu’après l’échec de ces deux mesures que l’on pourrait alors convoquer d’autres élections.
On en est loin, comme on le voit, et si c’est Abdelilah Benkirane qui bloque, alors il est temps pour lui de mettre en pratique ce qu’il dit en théorie, qu’il ne court pas après la fonction, et que son seul intérêt est le Maroc. Or, le Maroc a besoin d’un gouvernement, vite, et il a besoin d’un gouvernement fort.
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