Si l’on se prenait à feuilleter un traité de médecine du XVème ou du XVIème siècle européen, on serait peut-être étonné d’y lire que pour soigner les migraines, et toutes les douleurs à la tête, un bon médecin d’alors prescrivait des coquilles de noix, broyées, réduites en poudre et mélangées dans de l’eau, à boire d’un trait… Un esprit moderne s’étonnerait d’une si étrange prescription…
Pourtant, rien là que de plus scientifique pour l’époque et ce que Michel Foucault nomme un régime de vérité… C’est-à-dire le cadre qui rend possible l’énonciation d’un savoir, lequel définira ce qui est vrai et faux… Bon ou mauvais, prescriptible ou imprescriptible… À l’époque, pour qu’une relation s’établisse entre deux propositions, phénomènes, qu’une loi émerge, il fallait que la similitude, que la ressemblance, en somme, le soit aussi…
Observez une noix d’assez près… Sa forme, ses nervures, la séparation visible entre les deux moitiés de la coquille ne vous font-elles pas penser à celle du cerveau humain ? Nervures, séparations hémisphériques… Alors, maux de têtes et coquilles de noix se voyaient nécessairement liées…
Oui, cela peut sembler étrange… Mais, pour qui jugera la manière dont s’écrivent les lois, les vérités, aussi scientifiques qu’elles puissent nous sembler aujourd’hui, – et donc vraies ! Oui pour qui les lira, dans trois ou quatre siècles, et aura défini un autre principe de formulation de la vérité commun à tous les savoirs, pourrait bien nous trouver, tout aussi étrange…
Car si une leçon doit être retenue de la grande leçon de Michel Foucault, c’est que dès lors qu’un environnement change, que de nouvelles nécessités émergent, mais aussi des ruptures, – technologiques, économiques, culturelles – et c’est tout le sol sur lequel marchent nos certitudes qui tremble… Et voici qu’apparaît un nouveau continent, un nouveau régime de vérité qui les produits toutes !
Alors, puisque ce matin nous parlons de Régime de vérité… Et si nous nous demandions ce qui à l’inverse constitue la vérité de nos régimes… ? Oui, est-il entièrement faux de dire que, lorsqu’il agit de la vérité de nos assiettes, la règle pourrait bien, en matière de vérité alimentaire, de nous faire avaler n’importe quoi !
Et qui peut prétendre dire où se situe le principe, si cher à Michel Foucault, cette cohérence interne qui permet, seule, à des savoirs d’en être vraiment… Au fond, la question que nous posons est simple : peut-on être sûr de ce que nous disent nutritionnistes, experts, revues, journaux, et autres livres vendus à des millions d’exemplaires, que valent, rationnellement, tous ces régimes, qui ne cessent de nous faire croire qu’il existeraient une sorte de pierre philosophale de la perfection alimentaire, – ici, on nous prescrit de ne manger que des protéines, là, il s’agit d’éliminer le sucre une fois pour toute, et que dire de ces recettes, qui, soit, vous prémunissent du cancer – il est question d’avaler près de 7 kilos de carottes par jour, ou de s’en remettre au citron, à la gelée royale,…
Ou bien de ces autres recettes, qui feraient perdre 3 kilos dans la journée, et que dire, encore de tous ces détox… Redécouvertes de fruits, légumes, qui, s’ils sont cuits de telle ou telle manière, ou mangé crus, deviennent bien plus que de simples tomates, – puissance du bouquet de basilic, dès lors qu’on sait en redécouvrir le secret… Oui, il y a, le mot est dis, du secret, dans tout cette apparence de science…
Et qui dit secret, dit ce qui était connu d’un seul, ou de quelques-uns, et qui se trouve devenu la possession de tous… Et l’un des secrets les plus en vogue, ces dernières années, l’un des secrets de que des docteurs très humanistes, et probablement désireux de nous voir vivre longtemps… Veut que l’on devienne ce que l’on mange !
On devient ce que l’on mange…. Posons la question à l’anthropologie classique, elle répondra qu’une telle croyance, qui veut que l’on acquiert les propriétés des aliments que l’on ingère relève, purement et simplement, de la pensée magique !
Ainsi, dans la pensée magique, la personne acquiert-elle les propriétés des aliments qu’elle ingère. Les végétaux, plus particulièrement ceux consommés crus, en phase de germination, sont tenus pour « vivants » par les végétariens : leur ingestion améliore la santé et prolonge la vie.
Alors, à en croire le nombre incroyable de vérités alimentaires qui le sont tout autant, peut-on penser que la nutrition, comme science, obéirait à un régime de vérités qui serait autre, que scientifique ?
Peut-on penser que des croyances irrationnelles, des religions du fruit et du légume, que des mythes seraient à l’œuvre, dans ce qui voudrait se définir, se définir comme ne relevant que de la vérité du microscope, et que derrière le savoir moléculaire, un archaïsme de bon goût continuerait de régner, en cuisine… Cette question mérite d’être posée car, réseau sociaux obligent, le nombre des recettes augmentant chaque jour, les vérités se contredisent, et nous ne savons plus à quel régime nous vouer…
Et ce, alors que la techno-science se veut l’alpha et l’oméga de toutes les vérités… Que dire, de tant de bizarreries alimentaires qui font penser à ces vérités du moyen-âge, celles dont la science voulu tant nous débarrasser… Mais il faut croire que les fruits et les légumes ont la dent dure.
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