La légende urbaine dit qu’à un examen de grande école, un élève indien à qui on demandait à brûle-pourpoint ce à quoi lui faisait penser le cri du lion aurait répondu : le film commence. Et ça tombe bien, parce que ce matin, on va se demander si la fiction ne prévoit pas l’avenir ? Oui, non parce que c’est vrai que ces derniers temps, que voit-on fleurir au cinéma et à la télé ? Des reboots d’anciennes séries qui n’étaient pas très optimistes, genre X-Files et le grand complot, le Prisonnier, l’armée des 12 Singes. Et côté nouvelles créations, on a des Dissidentes, des Hunger Games et des Game of Thrones. Vous me direz, y’a aussi le retour de Star Wars et bientôt de Harry Potter, mais bon, ce n’est pas pareil.
À dire vrai, le monde actuel m’angoisse terriblement. Comme vous, comme nous, comme tout le monde, en fait. Donc j’aime regarder des fictions jolies et rassurantes ou bien me faire des petits trips nostalgiques vers mon enfance avec des comics, ce genre de choses, qui fleurissent actuellement, c’est rassurant, mais fondamentalement, je ne crois pas que ce sera l’avenir. Tout paraît terrifiant, on en parlait hier : la détresse humaine, des millions de gens sur les routes et nous, totalement absents au monde, plongés dans une espèce de fiction romancée à coup de croissance et de novlangue.
Bref, la nuit est noire et pleine de terreurs et oui, demain paraît bien sombre. Mais est-ce une raison valable pour chercher tant de sens dans des films, des séries, allez, pour les plus audacieux d’entre vous, des livres qui sont fictionnels et ne décrivent, officiellement qu’un univers fantastique ?
Pourtant, même si tout cela décrit des univers fictionnels, plus ils le sont, mais alors, version horrifique, plus on y croit. Tenez, hier, par exemple, en choisissant les sujets, on discutait, Driss et moi, de Hunger Games ou Dissidente. C’est à dire, en gros, une dystopie de plus, basée sur du cyberpunk, où le système démocratique actuel est mort et la suite est une forme rigide de gouvernance où les individus sont écrasés par un système de castes limité, dirigé par des gens à la fois décadents et corrompus. Mais le truc, c’est qu’en fait, si l’on analyse ces films, enfin ces livres à la base un peu différemment, on se rend compte qu’ils parlent du passé ou du présent, transposés. C’est d’autant plus vrai dans ces deux cas qu’il s’agit de séries relativement simplistes destinées aux ado mais c’est le cas pour presque tout. Dissidente, vous devez choisir à l’adolescence une caste qui détermine vos goûts et vos capacités de manière absolue et scientifique. Et tout ce qui dépasse est considéré comme dangereux, dissident. C’est pas l’avenir, ça, c’est le présent, où l’on vous norme en permanence et surtout à l’école, là où les conseillers d’orientation vous harcèlent dès le début du collège pour savoir quel type de technocrate vous aspirez à être. On comprend bien la pulsion des ados cherchant, c’est ontologique, à se distinguer de la masse, à exister en tant qu’individu. Out pour la prédiction, donc, IN pour le fantasme différenciant humain.
Hunger Games ? Des districts exploités par un pouvoir central décadent, extravagant, presque pas humain tellement les gens s’habillent comme des clowns. Et puis bien sûr, des jeux télés de mort voyeuristes et oppressants dans lesquels des enfants meurrent. Ça, à première vue, c’est un bon mélange d’un fantasme de rapport noblesse / tiers état et de réalité. D’une part, parce qu’en effet, les inégalités commencent à devenir tellement fortes qu’on a le sentiment d’un retour à un système de castes ou de classes sociales prédominant, avec de fait, une noblesse au moins médiatique dont les outrances vestimentaires mais aussi en termes de modifications corporelles ! Les éloignent de la nature (et que personne ne vienne me dire que les proportions des Kardashians sont réalistes sans chirurgie). D’autre part, parce que la télé qui désensibilise, bien sûr… Avec toujours, l’ado qui, se différenciant, provoque la révolte et renverse l’injustice. Un mode de narration classique, finalement.
Alors pourquoi a-t-on le sentiment que souvent, la science-fiction décrit le monde à venir ? D’abord, parce que c’est son but de base. D’ailleurs, au moment où, en France, la science-fiction commençait à faire fureur dans les années 70, on parlait d’anticipation. Et, que ce soit ce bon vieux Jules Vernes ou bien Philip K. Dick dont l’oeuvre est en ce moment très à la mode, parce que très angoissante, du Maître du Haut-Chateau à Blade Runner, tous cherchaient à percer ce que l’avenir et les progrès de la science allaient nous apporter.
Et certaines fictions du passé nous paraissent formidablement d’actualité aujourd’hui. 1984, par exemple ou même le Meilleur des Mondes. Mais là encore, si l’on y réfléchit, ces œuvres disent autant du monde dans lequel vivait leurs auteurs que du monde actuel, si ce n’est, de fait, beaucoup plus. Et il faut chercher les similitudes 1) dans leur compréhension de la nature humaine et des systèmes d’oppression et 2) dans la formidable capacité des Hommes à vouloir trouver du signifiant et du symbolique partout. Nous sommes structurellement formés à interpréter le monde selon une grille cause/conséquence qui nous fait rechercher partout des présages, qui nous permettraient peut-être de mieux nous préparer à ce qui vient et que l’on craint. Mais la fiction, création humaine, ne nous prépare ni ne prédit la réalité. Tout ce qu’elle peut faire, parfois, c’est traduire le réel. Et quand c’est le cas, elle n’est jamais obsolète et on y trouve, encore et toujours au sens presque charnel et Baudelairien du terme, des correspondances en forêts de symboles.
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