Pourquoi punit-on ?
La réponse, qu’elle soit celle du bon sens populaire ou de Michel Foucault, varie. Pour le premier, on dira que c’est pour que celui ou celle qu’on punit ne recommence pas, et que c’est comme ça, depuis toujours…
Pour le second, – celui qui nous intéresse, ici, – pour l’auteur de Surveiller et Punir, il s’agit davantage d’inscrire, dans la chair humaine, le principe politique de la discipline des corps. Celle qui suppose qu’on lui impose des postures, des mouvements, celle qui veut que l’espace quadrille, que le temps fasse obéir.
Tout un dispositif, largement coercitif, – faisant qu’à l’école, ou à l’armée, il ne sera pas question, de sortir du rang, qu’il faudra rester debout, s’asseoir, se taire, répondre à la question posée, lever le doigt…
Se mettre au garde-à-vous !
Oui, la discipline, essentielle à une ingénierie politique et sociale, est une vieille histoire universelle. Qui, si elle se diffuse nécessairement partout, commence, s’apprend aussi à l’école. Du moins à l’école, telle qu’on a pu la concevoir il y a, il faut le dire, assez longtemps, ailleurs.
Car lorsque Michel Foucault, rappelons-le, écrit dans Surveiller et Punir, que les asiles et les prisons sont comme les écoles, il y décrit des espaces, des lieux, propres à la construction moderne d’un sujet né pour être libre, mais non moins éduqué à la docilité… Il parle d’une modernité autre, moins lumineuse, moins libertaire, et bien moins humaine que de raison.
Car Foucault, lorsqu’il aborde la question de la discipline transversale des corps, de leur saisie induite ou brutale par les institutions, accuse là une modernité autre, plus obscure ; celle qui exclue, enferme, celle qui surveille, celle qui punit… Aussi bien les voleurs, dont il faut brandir le corps battu au bon peuple, pour l’effrayer… Et les petits enfants dont la punition, si elle est nécessaire et souhaitable constitue le premier geste d’un ordre politique qui use des moyens subtils ou brutaux d’une économie de la violence, d’une économie politique du redressement, pour maîtriser à des fins multiples, les corps et les esprits.
Alors…
À lire et à entendre ce qu’on nous dit de la violence dans des écoles, dans notre pays, ne peut-on penser que le récit qui nous est fait de ces violences, – de ces punitions, pourrait être tiré des livres de Michel Foucault ? C’est-à-dire pensés comme les moyens d’une économie politique de la violence, dont l’école dans notre pays, serait l’un des nombreux foyers… Avec l’Hôpital public et ses procédures infamantes.
Mais restons à l’école.
Et posons la question d’une école, publique et privée, devenue l’École de la violence, l’école où l’on apprend, d’abord, à se taire – à fermer sa bouche -, c’est, dans cette gestion horrible et froide, le Stade 1, de la violence. Les commencements de son apprentissage.
Ensuite, il y a les autres stades, celui des insultes, puis celui des coups, de ces petits supplices quotidiens, – cet élève, un peu trop bavard, chassé de la classe, obligé à rester trois heures durant, sous un soleil de plomb jusqu’à ce qu’il s’évanouisse ! Alors, toutes ces violences, ces atteintes à la dignité d’un enfant, qui sera l’adulte de demain, que révèlent-elles ?
Que l’un des modes de reproduction sociale en ce pays, porte peut-être le nom d’Humiliation. De sorte que beaucoup d’enfants ont été battus, et que beaucoup d’adultes s’en souviennent. Car, en vérité, c’est bien ce que l’on a reçu, que l’on finit toujours par donner ! Et si cela vaut pour les marques d’affection, cela vaut aussi pour les marques qu’auront laissés les insultes, les coups, et les brûlures.
Et donc ?
S’il est une question, cruciale, centrale, – et éminemment politique -, pour notre pays, c’est bien celle de ce qu’il faudra nommer le Principe d’Humiliation. Le nom de cet horrible théorème, qui s’apprend, d’abord, à l’école. Et qui suppose, comble de l’essentialisme -, que le sujet marocain ne comprend, ne marche qu’à la violence… Le principe d’humiliation suppose, en théorie comme en pratique, cette idée d’une violence nécessaire, essentielle au bon fonctionnement des choses. Une sorte d’ancrage, largement et quotidiennement porté par les mots, par le langage.
Il suffit de nous écouter parler de nous-mêmes, pour vérifier, au moins une fois par jour, que nous ne sommes bons qu’à être battus ! De sorte que l’Humiliation, comme principe de base, a fini par prendre la forme d’un savoir. Et pourquoi pas d’une véritable science de nous-mêmes !
Alors ce savoir, cette science, ne les apprenons-plus à nos enfants, ne l’enseignons plus, abolissons ce théorème et souvenons-nous que nous avons aussi, reçu, en héritage, l’amour, la douceur, l’élégance, que nous connaissons, aussi bien historiquement que spirituellement, la valeur de la dignité, du respect. Souvenons-nous que nous pouvons apprendre sur nous-mêmes, donner et enseigner des choses belles, lumineuses… Propre à construire des individualités pleines, entières. Des marocains heureux, aimés. Et qui s’aiment en retour.
Mais pour cela, il faut en finir avec le Principe d’Humiliation.
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