Mélanie Gourarier est une anthropologue qui, pour sa thèse de doctorat, a étudié pendant trois ans la « Communauté de la Séduction ». Le terme, en général, désigne différents mouvements et groupements, nés pour la plupart aux États-Unis, en Californie particulièrement, à la suite de Ross Jeffries. Ce dernier vend à ses clients une méthode de séduction des femmes, basée sur la Programmation neuro-linguistique, la PNL, et supposément infaillible.
Il s’agirait, en résumé, de « parler à leur inconscient ». D’aucuns et d’aucunes n’ont pas manqué d’y voir surtout des (grosses) ficelles de manipulation — des femmes, autant que des clients. Mais, depuis, en Amérique du Nord comme en Europe, est apparue une flopée de « coachs de séduction » et autres « artistes de la drague », qui vivent de la publication de « guides pratiques » et surtout de conférences-spectacles aussi rémunératrices qu’auto-promotionnelles.
Le 1er mars, à Paris, Mélanie Gourarier expliquait à Libération que « Ce qui [l]’a frappée dans […] cette confrérie dont les membres sont hantés par le déclin du masculin et l’indifférenciation sexuelle, c’est justement l’absence de femmes […]. Paradoxalement, le séducteur, autrement dit l’homme accompli, s’épanouit dans l’éloignement des femmes et dans l’entre-soi masculin. » Son livre, Alpha mâle, est sous-titré : Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes. Fine observatrice de son terrain, elle remarque que si les masculinités sont en recomposition perpétuelle, ces redéfinitions de la virilité n’en continuent pas moins d’entretenir et de renforcer les hiérarchies sexuelles et de pouvoir.
Cette industrie du conseil d’épanouissement masculiniste se fonde sur un discours singulièrement geignard et pleurnichard : la « virilité » serait en danger. Les femmes — particulièrement les féministes —, trop puissantes. Cela expliquerait, forcément, que les prospects cibles de ces coachs-là passent leurs samedis soirs seuls devant la télé, avec une pizza surgelée, au lieu d’avoir la vie sexuelle débordante que promettent les publicités. Ou plutôt, souligne l’anthropologue, de pouvoir s’en vanter dans une atmosphère de franche camaraderie, sur les bancs des vestiaires.
Pour le moment, nul n’ose songer que, jusqu’à la période moderne, dans la construction traditionnelle des genres, la puissance et l’action n’étaient pas du côté de la masculinité, mais plutôt de la féminité. Ce qui pourrait pourtant éclairer de façon intéressante bien des débats sur les rapports de genres. Mais passons.
C’est à partir de cette position de victimes supposées des grands ciseaux féministes que les participants d’un forum de post-adolescents français, consacré aux jeux vidéo, ont harcelé et menacé une chroniqueuse d’Europe 1. Elle les avait vertement tancés à l’antenne, le 1er novembre, pour leur attaque contre un serveur de SMS anti-harceleurs. Ce qui donne raison à Mélanie Gourarier : l’ordre misogyne se préserve, d’une façon ou d’une autre. Cela dit, les mondes culturels dits « respectables » sont aussi touchés.
Le 29 octobre, de grandes artistes contemporaines comme Cindy Sherman et Laurie Anderson, des galeristes et des curatrices se sont jointes à plus de 7 000 femmes pour dénoncer le harcèlement sexuel dans leur milieu. La lettre est intitulée Not surprised (« Pas surprises »), en référence à une œuvre de Jenny Holzer, autre signataire, qui, en 1982, affichait sur un écran géant de Times Square : « Abuse of power comes as no surprise » (« L’Abus de pouvoir n’arrive pas comme une surprise »).
En Égypte, une journaliste vient d’être condamnée à trois ans de prison pour avoir évoqué les grossesses hors mariage à la télévision, tandis qu’un avocat, sur le même petit écran, peut en toute impunité appeler au viol des femmes qu’il juge mal habillées. Aux États-Unis, le producteur Harvey Weinstein avait engagé, dès 2016, deux sociétés d’investigation et d’espionnage industriel, dont une composée principalement d’ex-agents du Mossad, pour interroger et intimider ses victimes et les médias. En Amérique Latine, on a dû forger le terme de « féminicide », devant des charniers sauvages, où étaient enterrés des corps exclusivement féminins, comme à Ciudad Juárez.
En Inde, le « gynocide » par avortement des fœtus de filles continue. Au Maroc, le HCP rappelle qu’en 2009, 40,6% des femmes vivant en milieu urbain « ont été victimes au moins d’un acte de violence, sous une forme ou une autre, dans un espace public ». Ce qui ne nous dit rien des violences domestiques, que vient de dépénaliser la Russie, et qui, en France, tuent une femme tous les trois jours. Pour être précis, dans le même hexagone, un homme y meurt tous les onze jours de violences conjugales.
La guerre des sexes fait rage et des vraies victimes. Quoiqu’en disent les belligérants, l’argument religieux y est pris en otage, et à contre-sens. Aucun texte sacré, dans le monde entier, ne justifie ces horreurs. Dans le nôtre, devant les cas de harcèlement des épouses du Prophète, la première injonction de la Révélation s’adresse aux hommes, à qui il est demandé de « baisser les yeux » ou, selon les traductions, de « changer leur regard » sur les femmes. Après, seulement, il est recommandé aux Mères des croyants de se vêtir de façon à afficher leur rang social. Sans plus.
Sur son album Bright Red, en 1994, la performeuse Laurie Anderson publiait un duo avec Lou Reed, une composition commune intitulée In Our Sleep.
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