Il est loin, le parti de l’Istiqlal, calme, serein et rationnel… Il est loin le temps du paisible Allal El Fassi et du serein Mhamed Boucetta… Il est loin, le temps de l’assurance, de l’intelligence et de la cohérence. Aujourd’hui, c’est le temps de Hamid Chabat, de ses dérives et de ses délires, de ses coups de tonnerre et de colère. Le parti de l’Istiqlal est le doyen des formations politiques de ce pays, et il a de beaux restes, tant est qu’il restât des militants qui l’animent, et non pas, non plus, des syndicalistes qui le bousculent. Il fut un temps où ce parti était l’âme du Maroc, avec son engagement pour l’indépendance, sa loyauté à la royauté et son implication dans la population.
Mais ce temps est révolu depuis des lustres aujourd’hui. Rien de grave, c’est normal. Tous les organismes vivent au rythme de leur temps, et changent au fil du temps. Mais l’Istiqlal, lui, est ce bloc monolithique qui ne change pas aisément, sûr de son fait et de son bon droit. Sauf que parfois, il se trompe lourdement. Aujourd’hui, le paquebot Istiqlal tangue. Il tangue après avoir heurté un iceberg nommé Chabat, venu de loin avec sa troupe et voulant aller encore plus loin à coups d’entourloupes. Mais ça ne se passe pas comme ça dans ce parti pas comme les autres.
L’Istiqlal a une structure, une histoire, des instances et une âme. Parfois, il fonctionne comme une secte politique, si l’expression m’est permise. Il y a un chef, il y a une idée, voire une idéologie, et tout se passe derrière les hauts murs de Bab el Had, à Rabat. Du temps des aînés, des Boucetta, des Ghellab, des Kadiri, des Diouri, des Khalifa et autres Louafa, Filali, Aouad, Afilal, il y avait bien des dissensions, des frictions et antagonismes. Mais ces conflits étaient gérés au sein du Comité exécutif, le sacrosaint Politburo de la formation, dont les membres étaient pour ainsi dire sacralisés, qui portaient la bonne parole, en toute bonne foi.
La maison était bien gardée, le temple était sûr, et les ambitions bien contrôlées. Le principe de base était le suivant : le nationalisme et l’égalitarisme. En d’autres termes, la préférence nationale et la justice sociale. Un peu de népotisme et de favoritisme ne faisaient pas de mal dans ce programme politique. L’Istiqlal est un parti qui regorge de cadres, de talents et de compétences. Il peut être partout, et il est partout, dans les communes, au parlement, dans les représentations diplomatiques, au gouvernement et même au palais royal.
De nos jours, les choses ont changé. La maison n’est plus aussi bien tenue que du temps d’antan, pour autant qu’on puisse encore parler de maison, et même de raison. Ces dernières semaines, l’Istiqlal a connu deux grandes pertes : d’une part, l’ancien secrétaire général Mhamed Boucetta, qui a marqué ce parti, le tiers de sa vie environ, et d’autre part, ses illusions. Le parti jadis soudé est aujourd’hui peuplé de soudards et le bloc monolithique qu’il fut présente actuellement un spectacle pathétique.
Une récupération politique, voire politicienne, d’un hommage à son grand disparu ; une réunion qui se termine à coups de chaises ; un chef qui n’a plus toute sa tête, des militants qui ont basculé en hooligans, des dirigeants actuels hystériques, des dirigeants historiques consternés… Et pourtant ce parti de l’Istiqlal est le seul à pouvoir faire le lien entre tradition et modernité, entre conservatisme et progressisme, entre le « juste ce qu’il faut » et le « jusqu’au boutisme ».
Les militants ont le choix entre le cas Chabat et le cadre Baraka, le premier étant décidé de se battre jusqu’au bout et le second étant disposé à faire ce qu’il faut. Mais entre les idées de l’un, son élégance et sa compétence, et les matraques de l’autre, rien ne permet de dire qui l’emportera au final dans cette hystérie collective, bruyante pour les uns, retenue chez les autres. Que les Sages défunts essaient de reposer en paix, leurs successeurs se font la guerre.
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