La jeunesse marocaine est de plus en plus mécontente, déçue, et en colère, et elle ne manque pas de le faire savoir. Ces jeunes reprochent à un Etat et à un gouvernement, jadis perçus comme omnipotent et omniscient, mais aujourd’hui de plus en plus impuissant économiquement, apathique politiquement, et vidé de toute substance et de toute métaphysique idéologique, de ne point être capable de leur garantir dignité, égalité des chances, et bien-être matériel.
Entraînés par une dynamique historique en mouvement, et aliénés par une rhétorique qui nous a persuadé que la politique et la démocratie représentative, contrairement aux schémas archaïques et traditionnels de prise de décision, allait nous permettre d’accéder à un bien-être généralisé et à l’universalité heureuse. Nous avons quitté le « Génos » et la « Communauté organique», pour adhérer progressivement au « Démos ».
Or, loin de la litanie moderniste sur les vertus de la politique comme prise en main de notre destin, il est impératif de définir la « politique » sur le terrain sérieux du concept, comme étant la gestion autonomisée de la valeur ajoutée comme flux et du patrimoine agrégé comme stock, par une minorité, émanant d’élections, élections qui ne sont au final que la domestication des subjectivités individuelles atomisées. Ce jeu électoral qui a lieu tous les 5 ans sous la forme de communions heureuses des subjectivités individuelles, ne vient que formaliser et légitimer cette gestion autonomisée de notre propre valeur ajoutée.
Valeur ajoutée qui nous fuit en permanence et dont on ne perçoit qu’une fraction à travers le schéma aliénatoire du salariat (en tout cas pour la plupart d’entre nous), qui donne lieu à ce que Proudhon décrit comme une « aubaine capitaliste » sans laquelle aucune marge ne serait possible, et ce que Francis Cousin définit comme une échappée de notre production, par la dynamique d’attraction de la valeur marchande en mouvement.
Dans ce schéma là où le gouvernement marocain, et ce peu importe qui le dirige, est dépossédé de la politique monétaire par les institutions internationales, paralysé par une corruption systémique et des rivalités claniques, et obligé de se plier aux dictats de la BM et du FMI en termes d’orientations de développement, le Maroc ne peut que produire un développement « cosmétique » pour le peuple, à travers des bâtiments de plus en plus esthétiques, un TGV et des Malls à foison.
Et sur le plan territorial, le choix politico-économique s’est porté sur la prostitution des régions du Maroc auprès du capital étranger, par un exhibitionnisme enthousiaste de notre pauvreté, à travers la mise en valeur obscène de nos bas salaires en tant qu’avantage compétitif.
Car derrière les malls, les technopolis, et les grands bâtiments à façades vitrées où foisonnent les hauts cadres, se cachent une misère économique et sociale, portée par des millions de chômeurs et chômeuses, qui ne représentent pour le patronat ni plus ni moins qu’une armée de réserve du « Capital », dont le but est de tirer les salaires vers le bas, et des millions de marocaines et marocains smicards, nouveaux esclaves des temps modernes, qui vivent ou survivent en travaillant d’arrache-pied dans des usines de production de câbles, dans des centres d’appels, ou encore en tant que caissières pour quelque 2500 DH. Et sans oublier les autres millions qui se font exploités sans être déclarés.
Dans ce contexte, augmenter légèrement les salaires, ou investir quelque milliards ici et là ne représentent au final qu’un réaménagement et un réagencement des conditions d’exploitation des travailleurs par la logique marchande du « Capital ». C’est seulement en mettant fin à l’autonomisation du politique, par une sortie du schéma de la pseudo-démocratie représentative, et par un processus de reconquête de la souveraineté économique et politique du Maroc, qu’il nous sera possible de renouer avec l’esprit de la« communauté organique », en mettant fin à la réification des liens sociaux, et de penser un développement économique et sociale harmonieux, endogène et adéquat à notre identité.
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