Et aujourd’hui 3 mai, nous fêtons la journée internationale de la liberté de la presse. Et à cette occasion, on va se poser la question qui fâche, quelle liberté, quelle presse exactement ?
Alors oui, tout cela doit changer mais cela change dans l’ensemble lentement. On est toujours assassiné parfois pour délit de presse et emprisonné même chez nous. Or donc exactement, que célèbre cette journée ? Un peu comme pour la journée des droits des femmes, je dirais un peu un vœu pieu. Tenez, par exemple, tous les ans, à cette occasion, l’UNESCO décerne un prix, le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano, lequel est destiné, et je cite l’UNESCO « à distinguer une personne, une organisation ou une institution qui a contribué, de manière notable, à la défense et/ou à la promotion de la liberté de la presse où que ce soit dans le monde, surtout si pour cela elle a pris des risques. » Alors vous me direz, c’est bien, cela permet de faire avancer les choses, d’autant que le prix est tout à la fois symbolique, Guillermo Cano Isaza était un journaliste colombien assassiné à l’entrée des bureaux de son journal à Bogotá en 1986, mais aussi pécunier et non négligeable : 25 000 dollars tout de même. Sauf que cette année encore, et je dirais presque comme chaque année, il ne sera pas perçu par la gagnante, Khadija Ismayilova, journaliste azerbaïdjanaise travaillant pour Radio Free Europe, puisqu’elle est détenue depuis décembre 2014 et a été condamnée à sept ans et demi de prison pour abus de pouvoir et évasion fiscale.
Oui, on va être gentil et qualifier cela de boulette… Ou bien de symbole, puisqu’en effet, il est probable que cette femme ait été poursuivie sous un faux prétexte du fait de son métier. Mais ce que cela signifie, c’est essentiellement qu’une fois encore, un bon journaliste est un journaliste qui se tait.
Mais ne soyons pas totalement pessimistes, tout n’est pas atroce partout, non plus. Et en effet, dans la plupart des pays dits développés, on évite d’emprisonner ou d’assassiner les journalistes, on a trouvé un autre moyen : on concentre la presse entre les mains de quelques très gros industriels qui rachètent des danseuses à tour de bras pour mieux les contrôler à tour de vis. Parfois, disons même souvent, ces mêmes requins des affaires sont impliqués en politique ou bien alors contre, mais alors, tout contre… Ainsi, Arnaud Lagardère, ami intime de Sarkozy, témoin à son mariage possède en propre et entre autres Paris-Match, Elle magazine, le Journal du Dimanche, La Provence, Nice-Matin, Europe 1, Europe 2, RFM, Canal J, MCM, Mezzo, Tiji, Match TV, la chaîne météo, CanalSatellite, Planète, Planète Future, Planète Thalassa, Canal Jimmy, Season, CinéCinéma, AlloCinéInfo et EuroChannel. Serge Dassault, sénateur, possède quant à lui seulement Le Figaro, le Figaro Magazine et Valeurs Actuelles. Au Maroc, la tendance est nouvelle, mais Ilyas El Omari lançant un groupe de presse de pas moins de 6 titres a l’air d’avoir bien compris la chose. Et si, pour le moment, il est réputé ne pas s’immiscer dans la ligne éditoriale de ses journaux, on peut se demander combien de temps, en période de campagne électorale, ça va durer. C’est que, plutôt que de censurer, comme un Bolloré ne s’empêche pas de faire, pour le coup, les propriétaires d’un média peuvent tout aussi bien – c’est Hervé Kempf ex journaliste du Monde qui nous le dit, lui qui a démissionné après qu’on l’aurait empêché de traiter la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, contrôler ce qui se dit, je cite « par des moyens surtout indirects, c’est-à-dire en nommant une hiérarchie compatible avec leurs idées, influant sur l’orientation du média qu’ils possèdent.» Et en toute franchise, quoi de plus normal ? Je ne vois même pas ce que l’on pourrait objecter à cela, en vrai…
Comme est également tout à fait normal que les annonceurs fassent pression sur les journaux chez qui ils annoncent après tout. Comme HSBC qui a retiré sa campagne des journaux faisant une couverture « hostile » de l’affaire des comptes en Suisse… Je cite Stuart Gulliver, son patron qui a déclaré qu’il ne s’agissait « en rien d’influencer la couverture éditoriale de qui que ce soit […] Nous avons recours à la publicité pour vendre plus de produits bancaires. Et ça ne fait aucun sens de placer une publicité à côté d’une couverture journalistique hostile. » Et de continuer : « si vous lisez pages 4 et 5 que HSBC est une mauvaise entreprise, c’est peu probable que vous vous disiez une page plus loin ‘et si j’allais prendre un crédit immobilier chez eux’. C’est du bon sens, c’est le business qui veut ça: nous ne plaçons pas de publicités à côté d’articles hostiles parce que ces dépenses publicitaires ne nous rapporteraient rien. » Oui, logique, en effet.
Alors, à part le ton journalistique, que reste-il aux journalistes pour défendre une certaine idée du journalisme, disons celle de l’UNESCO, journalisme média citoyen, droit universel à l’information, etc. ? Pas grand-chose. Soumis à des pressions économiques, politiques, légales aussi, puisque généralement, certes, on essaie de ne plus trop s’attaquer aux journalistes eux-mêmes mais on pénalise de plus en plus lourdement leurs sources, rendant par là-même leur travail inopérant, que peuvent-ils faire ? Tenter tant bien que mal d’inventer ex nihilo un nouveau modèle.
Mais ce n’est pas évident, car en ces temps de libéralisme et de réalisme économique, il faudrait aussi inventer un nouveau modèle de média ne dépendant ni de gros groupes pouvant s’offrir une danseuse pour le plaisir d’être influents, ni d’annonceurs pouvant caviarder à loisir. Et souvent, on confond l’un avec l’autre. Exemple ? La dernière marotte du journalisme 3.0, c’est le reportage en immersion 3D. Hop ! On filme en 3D et on vous met des lunettes, immersion totale garantie, vous pouvez ainsi parcourir les rues de Holms, par exemple ou bien comprendre ce qu’est la vie en cellule d’isolement, deux reportages 3D ayant fait grands bruits ces derniers temps. Problème : ce n’est pas de l’information, c’est du sensationnalisme médiatique, intéressant, sans doute, mais pas ce que l’on cherche à protéger quand on fait une journée internationale pour la liberté de la presse. Alors quoi ? Réinventer une déontologie, d’abord, pour une vocation dont l’un des problèmes est qu’elle se considère d’abord et avant tout comme un métier avec ses syndicats, ses normes salariales et juridiques ? La première étape d’une déontologie, quel que soit le métier auquel on l’applique, c’est un conseil de l’Ordre. Justement ce que Ljiljana Zurovac, présidente du prix Unesco/Guillermo Cano a fait en Bosnie-Herzégovine, en montant et dirigeant le Conseil de la Presse. Mais ce que l’histoire ne dit pas c’est si ce Conseil est réellement libre de toute influence politique – c’est douteux, ou financière – presque impossible. Finalement, et si, en journalisme comme partout, nous n’étions que humains, faillibles, fragiles et ne pouvions opposer à la censure, la désinformation et les pressions de toutes sortes que notre intelligence et notre volonté d’être honnête intellectuellement ? Déjà, nous reconnaître humains serait peut-être un progrès…
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