Le boycott vendredi dernier de la Mosquée « Youssef Ibn Tachefine » à Fès par des militants islamistes proches ou affiliés au PJD est loin d’être un événement anodin ou un simple fait divers. C’est avant tout la souveraineté religieuse de notre pays qui a été remise en cause.
Car qui a dit qu’il n’y a de souveraineté que politique ?
De même que nos cités et villages furent fondés initialement autour d’un lieu de culte, d’un lieu saint, ou d’un site sacré, toute société, de la plus archaïque à la plus moderne, se construit et se reproduit autour d’un système de valeurs sacrées. Sous cet angle là, la religion, du latin « religare » qui signifie « relier », relier aussi bien les croyants entre eux que ces derniers à Dieu, a pour fonction de renforcer la cohésion du groupe et de donner une signification au monde et à l’existence humaine.
Cependant, cette interprétation du monde, cette superstructure pour parler comme Marx, doit avant tout être adéquate à la réalité socioculturelle et socioéconomique du peuple, elle doit coïncider avec elle. De ce fait, elle doit soit en émaner, soit s’accommoder et épouser en permanence le socle et la structure socioculturelle toujours changeante et en perpétuelle mutation du peuple. La religion est ainsi un principe sociologique dynamique, structurant et fédérateur, qui renforce la cohésion et la solidarité du groupe, en élargissant la sphère d’empathie et d’affectivité au-delà de la famille, c’est-à-dire à tout le peuple, et dans certains cas au-delà.
Il ne s’agit donc pas d’opposer l’immanence à la transcendance, le profane au sacré, mais de les faire coïncider, dans un subtil agencement s’inscrivant dans une perspective dialectique de l’histoire.
C’est dans ce sens que j’invite les marocains à un néo-fidéisme politico-religieux. Il ne s’agit en aucun cas d’adhérer aveuglément à la doctrine religieuse dominante dans ses moindres détails et préceptes, mais de s’inscrire dans un consensus religieux national, émanant d’un prisme et d’un socle de valeurs sacrées héritées de nos ancêtres. Il s’agit de s’inscrire dans un « Islam Marocain » en tant que prisme spirituel et moral, ou en termes plus laïc en tant que système de valeurs adéquat à notre réalité actuelle, qui, rappelons-le, est en perpétuelle changement.
Dans cet « Islam Marocain » ancestral, existe une infinité de nuances allant de « l’Islam culturel marocain » auquel peut adhérer le marocain de confession juive, ou encore le marocain laïc, athée, ou agnostique, à « l’Islam spirituel« , profond et subtil des Soufis marocains. C’est l’Islam des premiers temps, celui de « Médine », la cité multiconfessionnelle, qui avait donné naissance à la charte de Médine, première Constitution écrite de l’histoire.
Et ce n’est pas un hasard que ce soit au Maroc, à Marrakech, que la déclaration sur les droits des minorités religieuses qui s’appuie sur la « Charte de Médine » a été rédigée.
C’est dans ce sens, que Descartes, chantre de la rationalité et de l’esprit critique, avait répondu à un Protestant qui tentait de le convertir au protestantisme : « J’entends garder la religion de mon Roi et de ma nourrice ».
Non pas que Descartes adhère intégralement au catholicisme traditionnel, loin de là, mais il s’interdit d’adhérer à une doctrine religieuse dont la finalité est le démantèlement de l’ordre social et le préambule à une situation de guerre civile et de chaos.
Notre « Islam marocain », celui de notre « Roi et de notre nourrice » pour paraphraser Descartes, celui qui est le fondement de notre tolérance ancestrale devant l’altérité, est de plus en plus menacé par deux doctrines en apparence opposées, mais qui sont dans le fond les deux faces d’une même pièce. Par le « néo-libéralisme nomade » d’un coté, qui entend homogénéiser toute l’humanité en faisant émerger l’homme nouveau, l’homo-economicus, et de l’autre coté par une « lecture » subjective de l’islam venue d’ailleurs, statique et simpliste, qui entend à son tour supprimer toute altérité, pluralité, nuance, et subtilité, …
Dieu tout puissant, clément et miséricordieux n’a-t-il pas dit dans la Sourate 10 verset 99 :
« Si ton seigneur l’avait voulu, tous les habitants de la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les hommes à être croyants ? ».
Ou encore dans la Sourate 49 verset 13 :
« Ô vous les hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle. Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d’entre vous. ».
Cependant, le « Salafisme », ou le « néo-salafisme » qu’est le « confrérisme musulman », c’est la nouvelle « Tour de Babel », c’est le refus de la diversité, c’est la négation de la dynamique de l’histoire, c’est le refus de l’Histoire tout court. C’est aussi le refus de l’art, de la musique, de la sculpture, de la peinture, de la beauté,…, c’est l’apologie de la laideur et du ressentiment. Le « Salafisme » en tant que lecture déformée et dénaturée des « textes sacrées » et des pratiques des « Salaf », est une coquille vide, dénuée de toute spiritualité et de toute finesse, qui ne doit sa rapide propagation qu’à une radicalisation des sociétés musulmanes, due en grande partie à la violence symbolique mais également réelle du néo-libéralisme. Ainsi, « Salafisme » et « Néo-libéralisme » avance main dans la main dans nos sociétés, dans une funeste synergie, dont la finalité est de saper les fondements même de notre souverainté.
Le « Salafisme » est en effet la contestation de la souveraineté aussi bien de Dieu que des Hommes. Car en affirmant pouvoir juger eux-mêmes de la destinée post-mortem des vivants, à savoir le Paradis ou l’Enfer, les maîtres à penser du « Salafisme » s’arrogent sans le moindre complexe l’une des prérogatives de Dieu. De même, quand ils entendent régenter la vie quotidienne du peuple dans ses moindres détails en cherchant à le mettre sous tutelle à coups de « Fatwa », ils contestent l’une des prérogatives de l’Etat, qui est de définir la loi et de rendre la justice, droit régalien élémentaire.
À ceux qui adhérent à ce discours par naïveté, sachez que le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions. Quant aux autres, à ceux qui œuvrent sciemment pour la mise en place et le renforcement d’un « Etat » dans l’ « Etat », en propageant activement une doctrine antinationale et anti-souveraine, je les invite à relire l’histoire funeste de l’ordre des Templiers et d’en tirer les enseignements nécessaires.
Voltaire avait dit avec perspicacité en parlant du procès des Templiers : « Si tant de témoins ont déposé contre les Templiers, il y eut aussi beaucoup de témoignages étrangers en faveur de l’ordre ».
Or, l’étranger ne les a point sauvés du bûcher.
Le salut de tous ne pourra passer que par une union nationale et par une confrérie cette fois nationale, dans une perspective souveraine.
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