Le Passé simple.
Ce Livre du Seigneur dont son auteur, disparu depuis dix, disait l’avoir écrit par accident.
Pour raisons d’argent.
Alimentaire, donc, ce roman ?
Non, bien sûr. Dévoration, plutôt. Désir ardent de briller avant même le soleil, comme c’est le cas de ces livres qui sont des naissances à l’aube.
D’autres, des crépuscules…
Le Passé simple, alors ?
Commandement. Irruption de soi dans la page. Livre nécessaire. Dicté par les lois implacables du désir, plus puissant encore que l’autorisation intérieure. Et relevant donc de l’impossibilité quasi-physique, de se faire barrière… Et, d’obéir à son temps. Marque première, s’il en est, de la nécessité. C’est elle qui pousse les écrivains. Oui lorsqu’elle est une énergétique, – soit, comme pour Kafka, de la sincérité, soit, peut-être dans le cas de Chraïbi, de la destitution, virile énergétique, avec ses ambivalences certes. Son Désir de vaincre, son faux-départ, à la fin.
À ce titre Driss Chraïbi est comme tous les autres, subissant et désirant la tyrannie de l’œuvre, sa dictature, dont ils sont et les victimes, et les bourreaux.
On comprend, alors, au nom de quel écartèlement, il refusa, toujours, et violemment, d’être appelé Écrivain Maghrébin d’Expression Française ! Si les écrivains peuvent, quelquefois, être des porte-paroles, ils ne sont, en aucun cas, des porte-drapeaux. Pas d’écussons, de cocardes, au pays de la création.
Foucault, pour d’autres raisons, mais que l’on peut bien rapprocher de celle qui intéresse ici, dira, lui, que ces questions relèvent, en fin de compte de l’Etat-civil, et qu’on nous laisse libre, lorsqu’il s’agit d’écrire !
L’écrivain est de partout.
Et, surtout, dans sa cachette française, retiré, comme ces arbres qui peuplent les contes pour enfants, ces histoires d’alliance entre les sapins, les chênes, et les hommes en quête…
Il y avait chez Driss Chraïbi quelque chose de cet ordre-là.
Oui, il était de ces sapins solitaires. Ceux dont la cime monte plus haut que celles des autres arbres, et auxquels la forêt, s’est, après quelques siècles d’observation, -évidemment mutuelle, un peu confiée, auxquels elle a ouvert ses archives, et livré ses secrets sur les habitants du monde.
L’écrivain, peut-être plus que l’homme, connaissait les hommes.
Aimait les regarder. Avait ses yeux de chat dont les neufs vies font une vraie vie de romancier. Regardez les photos. Regardez ses yeux, ce regard. À la fois naïf et sceptique. On dirait qu’il croit en Dieu comme y croirait un enfant ingénieux.
Cela donnera l’Homme du Livre, récit d’un Grand Autre, d’un personnage considérable, – dit, fébrilement et fièrement son auteur. Et en même temps, ce n’est pas tant de l’Islam, que du féminin, du corps de la femme, du corps-monde de la femme, de l’infini beauté de la création, qu’il s’agit, pour son auteur, dans ce livre. J’ai rêvé que cette grotte était un utérus d’où allait sortir un prophète.
Voici l’Homme. Mohammed. L’être qu’un lieu, qu’une matrice, va transformer. Voici, comme un ventre Divin, la grotte de Hira. Et voici Khadija, première femme de l’Islam, recueillant dans ses bras, un homme tremblant, ruisselant comme un placenta, mais d’une bonne nouvelle, de ces mots donnés par Dieu, à un homme qui est, au sortir de cet utérus dont parle Driss Chraïbi, maintenant un prophète.
Khadija, sent et sait dans son corps de femme que Mohammed a été choisi.
La compagne du caravanier ombrageux et inspiré a immédiatement compris que, dans cette caverne aux parois de chair divine, l’homme qu’elle aime, qu’elle a épousé, de sa propre volonté !, est celui sur lequel Dieu a fait descendre sa parole.
Elle le sait, – et c’est là tout l’hommage rendu par Driss Chraïbi à la femme et son refus de la voir asservie par l’intégrisme ! Oui, elle nous dit, Khadija, sous la plume de l’écrivain, que cet homme est, par Dieu, devenu un réceptacle. Sa chair de femme, Khadija, est sans doute, le plus grand témoin de la prophétie.
Voici, certainement, ce qui se joue, dans ce livre, comme dans les autres, et, au-delà, dans la vie même de Driss Chraïbi.
Et, à lire Le monde à côté, on comprend que l’auteur, à travers la manière dont il parle des femmes qu’il a aimées, a, sans aucun doute, de la femme, une vision théophanique. C’est, probablement, l’essence de toute spiritualité, sans laquelle toute création est impossible. Pour Driss Chraïbi, la Femme est accès à la Vie. Ainsi, pour la petite gnose littéraire, La civilisation, ma mère ! Peut-il aussi se lire sans la virgule…. Ne sommes-nous pas tous, les fils et les filles de la civilisation, et mis en demeure de nous en souvenir, particulièrement par les temps qui courent !
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