C’est une histoire comme un roman, mais policier. Mais triste. Entre les deux guerres mondiales, Henri Rollin, amiral français à la retraite a mené son enquête, et fait un travail d’historien. Il fallait remonter au XIXe siècle, à Paris, sous le Second Empire, celui de Napoléon III, quand furent construits, en France, la Bourse et les chemins de fer, que le baron Haussmann perçait les grands boulevards et que fut créée une nouvelle bourgeoisie avec une industrie. L’argent coulait à flots et quiconque avait un peu de talent et un minimum d’éducation pouvait espérer faire fortune — tandis qu’Hugo était en exil à Guernesey. C’était l’Empire libéral. Au milieu de cette effervescence, Maurice Joly, avocat, publiciste, caustique et désabusé, a porté un regard acéré sur la société nouvelle qui naissait sous ses yeux. Il commit, en 1864, un pamphlet dans le style quelque peu ampoulé de l’époque. Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu était une critique acide du pouvoir en place. Machiavel était la transparente figure de l’empereur et de la société de l’argent, Montesquieu, l’humble visage de l’auteur, paré de toutes les vertus de l’humanisme. Bien que publié à Bruxelles, sous pseudonyme, la police de Louis-Napoléon Bonaparte saisit une partie du tirage et envoya Joly en prison.
Par quelques rocambolesques aventures, Piotr Ratchkovski, ancien responsable de l’Okhrana, la police secrète du Tsar, mais tombé en disgrâce, pensa tenir avec ce texte un moyen de revenir en cour. Il le fit réécrire en 1901 par l’un de ses agents, Matveï Golovinski, en lui demandant de remplacer « Machiavel » par quelques congrès juif forcément secret. Les Protocoles des sages de Sion étaient nés. Ou presque. La censure impériale russe commença par en refuser la publication — les pogroms battaient leur plein, et certains aristocrates voyaient bien que ces persécutions n’éloignaient pas d’autres dangers de plus en plus pressants. Ratchkovski fit jouer quelques relations à la cour, et finit par faire publier son faux… dans l’indifférence générale. Mais la légende des Protocoles commença lorsque l’on en retrouva un exemplaire à Ekaterinbourg, dans la chambre de la tsarine, récemment massacrée. Quelques Russes blancs, fuyant en Allemagne les bolcheviques, en remirent des copies à un certain M. Goebbels, qui fit montre d’un intérêt certain pour le titre. Il le publia et le diffusa dans toutes les langues. Cette histoire, et bien plus, a été racontée par Henri Rollin, dans son ouvrage, L’Apocalypse de notre temps, publié à la NRF en 1939… et mis au pilon en 1940 par les occupants — et Drieu La Rochelle. L’ouvrage a été réédité en 1991. Il ne lui manquait que le nom du scripteur, Golovinski, qui ne fut connu qu’après la chute du Mur de Berlin et l’ouverture des archives soviétiques.
Le succès, avant et après-guerre, du sinistre faux que sont les Protocoles s’explique fort bien par la qualité du pamphlet original. Joly, à l’instar de ses contemporains Balzac ou Zola, décrit ce à quoi un certain cynisme peut conduire dans un État moderne. Aujourd’hui encore, la lecture de quelques lignes suffit à évoquer, par exemple, les pratiques d’un Berlusconi, d’un Sarkozy, d’un Tony Blair ou d’un Donald Trump. On lit ainsi, dans la bouche du « Machiavel » de 1864, que « les masses consentent à être inactives, mais à une condition, c’est que ceux qui les gouvernent leur donnent le spectacle d’une activité incessante, d’une sorte de fièvre ; qu’ils attirent constamment leurs yeux par des nouveautés, par des surprises, par des coups de théâtre. » Bref, on peut y reconnaître à peu près tout gouvernement moderne, libéral et à tendance autoritaire, comme l’était celui de Napoléon III. On conçoit, par là, comment la version russe a pu tromper tant de monde, tout autour du globe. Enfin, que, par la suite, le mouvement sioniste a développé un État sur ce modèle précis n’a, évidemment, pas aidé les crédules à faire la part des choses. La distinction, entre organisation politique et religion, est pourtant de première importance, et l’histoire, encore une fois, des plus utiles pour comprendre le présent.
Tube mondial en 1983, et classique incontournable de la pop de cette décennie, Sweet dreams (are made of this) est la signature du groupe Eurythmics.
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