La justice est une affaire complexe et ses décisions sont bien souvent déroutantes y compris pour ceux qui y ont été initiés par la fréquentation assidue des tribunaux et des facultés de droit. La justice nous surprend parfois de manière positive tel le bon juge Magnaud de Château-Thierry ou plus proche de nous le bon juge de Tanger dans ce désormais fameux dossier de reconnaissance de paternité. Le plus souvent, elle nous surprend négativement par le caractère difficilement compréhensible de ses décisions. Il semble en aller ainsi de la décision rendue en appel dans l’affaire Hind El Achchabi.
Si l’on en croit les dernières informations, la décision rendue par la Cour d’appel est pour le moins surprenante puisque la maîtresse a été reconnue coupable d’adultère et condamnée à deux années de prison ferme alors que ni le délit d’adultère ni semble-t-il celui de relations sexuelles hors mariage n’a été reconnu contre l’amant.
Ceux qui me connaissent savent mon aversion pour la répression d’actes relevant de la vie privée de chacun. Le législateur et les juges n’ont rien à faire dans les chambres à coucher des citoyens et il ne leur appartient pas de décider de ce qui est illicite et ce qui ne l’est pas entre deux adultes consentants. La simple application de la Constitution de 2011 doit pouvoir permettre d’écarter les articles liberticides contenus dans un code pénal que même le carbone 14 ne permet pas de dater. Encore faut-il des législateurs et des juges courageux et conscients des réalités du siècle dans lequel ils vivent. Un peu à l’image des bons juges de Château-Thierry et Tanger.
Le plus surprenant dans cette affaire c’est l’apparente différence de traitement entre les accusés. La maîtresse est condamnée à deux années de prison alors que l’amant lui n’écope que de sept mois. Surtout qu’en première instance, les deux amants avaient été condamnés à trois années de prison chacun, révoltant d’un point de vue moral, mais malheureusement relativement conforme à l’état du droit marocain.
En appel, c’est le triomphe du deux poids deux mesures. Les deux parties à un même acte délictuel sont sanctionnées de manière bien différente et pour tout dire difficilement compréhensible. Certes, il est probable que l’épouse de l’amant n’a pas souhaité poursuivre son mari volage et qu’il n’a donc pas été possible de le poursuivre pour adultère mais uniquement pour relation sexuelle hors mariage par application du funeste article 490 du Code pénal. Et dans ce cas la peine maximale prononçable était d’une année d’emprisonnement.
La justice n’est pas aveugle, elle est aveuglante, de cet aveuglement qui vous plonge dans l’obscurité. Une banale histoire d’amour entre deux individus a ainsi mobilisé de nombreux policiers, magistrats et gardiens de prison, coûtée très chère aux deniers publics et a saccagé la vie de plusieurs familles. Le droit pénal est-il réellement la réponse ? L’emprisonnement des amants est-il réellement socialement utile ? Est-il proportionné aux manquements commis par les amants, manquements qui relèvent principalement d’une absence de fidélité à leurs conjoints respectifs mais ne causent aucun trouble, aucun dommage social réel ?
Parfois, au lieu de juger selon la règle de droit, comme tout magistrat est censé le faire, il est préférable d’avoir recours à l’équité et à l’humanité. Et pour parler d’équité, qui de mieux que le bon juge Magnaud, qui pour relaxer une jeune femme, mère sans ressources d’un enfant de deux ans, du délit de vol d’un pain dans une boulangerie motiva sa décision de la manière suivante :
« Attendu qu’il est regrettable que, dans une société bien organisée, un des membres de cette société, surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute. Que, lorsqu’une pareille situation se présente, le juge peut et doit interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi. Attendu que la faim est susceptible d’enlever à tout être humain une partie de son libre arbitre et d’amoindrir en lui la notion du bien et du mal. Qu’un acte, ordinairement répréhensible, perd beaucoup de son caractère frauduleux lorsque celui qui le commet n’agit que poussé par l’impérieux besoin de se procurer un aliment de première nécessité ».
L’état de nécessité était né ! Rendons hommage également aux magistrats anonymes de la Cour d’appel de Colmar qui ont confirmé la décision du bon juge dans les termes suivants :
« Attendu que la reconnaissance de l’état de nécessité est un des fondements du droit ; que toutes les civilisations juridiques évoluées, dégagées du légalisme initial le consacrent, soit dans la loi, soit dans la doctrine et la jurisprudence ; ce qui caractérise l’état ou l’effet de nécessité, c’est la situation dans laquelle se trouve une personne, qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale. »
À quand des juges Magnaud dans le plus beau pays du monde ?
Poster un Commentaire