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Le tahakkoum


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Le Maroc s’essaie à la démocratie et, ma foi, avec un certain bonheur. Cependant, comme dans toutes les jeunes démocraties balbutiantes et hésitantes, on enregistre ça et là des hiatus. Mais les Marocains apprennent vite. Prenons le cas du PJD, seul parti, il faut le dire, qui ressemble vraiment à un parti.

Il a des structures, il a des organes internes et des organismes externes. Il a sa jeunesse, il a ses femmes (aucun rapport ici avec la polygamie…), il a ses cadres et ses dirigeants hors-cadre. Il élit ses instances au suffrage direct et secret. Il a ses penseurs et ses idéologues, et même ses porte-flingues. Un vrai parti, on vous dit.

Depuis 20 ans que le PJD existe, il a eu à faire face à moult péripéties. Naître, se faire connaître, être sorti par la porte puis revenir par la fenêtre, et surtout ne pas disparaître… Tout cela est un travail à plein temps et les gens du PJD ont réussi à accomplir leurs tâches, œuvrant sans relâche.

La suite, on la connaît… opportunistes lors des manifestations du 20 février, ils ont réussi à surfer sur la vague de contestations, portés par les flots de manifestants et poussés par les bourrasques printanières de 2011. Et loin de couler, ils ont alors conquis la chefferie du gouvernement, en la personne bonhomme de M. Abdelilah Benkirane. Il faut dire, comme le disait Corneille, qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Mais ils ont triomphé quand même.

Après quatre ans de gouvernement, à défaut de vraiment gouverner, Benkirane et ses amis sont allés aux élections communales et régionales. Et là encore, ils ont triomphé, mais plus difficilement cette fois car ils avaient face à eux un PAM en retour de grâce, œuvrant à s’incruster et à prendre place. Certains ont dit et diront encore que c’est le PAM qui a gagné, puisque classé premier en nombre de sièges conquis. Mais quand, comme le PJD l’a fait, on remporte 10 grandes villes sur un total de dix grandes villes, on peut crier victoire. Le PJD l’a fait, et il avait raison.

Pour cette élection de 2016, les choses sont encore plus corsées, car le PAM veut vraiment vaincre, et s’en donne les moyens.  Alors le PJD met les bouchées doubles. Il a mis en place ce qu’ailleurs on appelle les « éléments de langage ». Le principal est le tahakkoum.

Le tahakkoum, dont le radical est hakama, désigne le contrôle, la mainmise et, en politique, l’hégémonie. Dans la bouche du PJDiste moyen, tahakkoum renvoie invariablement et uniquement au PAM, et plus particulièrement à la personne d’Ilyas el Omari. Depuis plusieurs mois, nous n’entendons plus que ce mot dans les propos des amis de Benkirane et nous ne voyons que ce mot aussi dans leurs écrits. Mais que veut-il dire, en creux ? Qu’Ilyas cherche à étendre son ombre sur les autres partis. Cela est normal. Seulement voilà, quand on dit Tahakkoum, on sous-entend qu’el Omari le fait de manière agressive, comme une OPA inamicale. Or, tahakkoum renvoie à houkm et le houkm est le pouvoir. On a souvent prêté jadis à el Omari une solide amitié avec le conseiller du roi Fouad Ali El Himma, ce qui n’est absolument pas un mal au demeurant. Mais il est intéressant de lire ce qu’en dit celui qui porte la parole impertinente et insolente de Benkirane et que Benkirane n’ose pas dire.

Ecoutons Mohamed Yatim, le sous-traitant des tâches vaches : « Qui a conféré à cet homme autant de puissance ? Et qui lui a permis de faire partie du voyage royal à Pékin ? »…ou « Cette force dépasse la personne d’El Omari et même du PAM et laisse entendre l’existence d’un autre Etat, ou d’un Etat parallèle, ou d’un Etat de l’ombre »… ou encore « Qui veut isoler le roi des partis du mouvement national ? »… et la meilleure, la plus disante « Qui veut nous ramener à cette période comprise entre 2009 et 2011, quand le tahakkoum régnait sans partage ? ». Là, c’est on ne peut plus clair : le PJD, par la voix indirecte de Benkirane et presque directe de Yatim, s’attaque au conseiller du roi Fouad Ali El Himma qui, entre  2009 et 2011, était le leader du PAM, même s’il n’en avait pas le titre.

C’était une autre époque, anté 2011 certes, mais les citations proposées ici montrent clairement que Benkirane s’en prend à mots couverts et par El Omari interposé au conseiller du roi. Donc, quand les gens du PJD disent tahakkoum, ils visent l’entourage royal. Or, on sait qu’au sein du Cabinet royal et dans cet entourage, l’ordre et la discipline règnent, et chacun joue sa partition dans un orchestre ordonné et cohérent.

Cela voudrait-il donc dire que le PJD de Benkirane veut, sans le dire directement, impliquer le roi dans ce tahakkoum ? Plusieurs ministres détenant des responsabilités et des fonctions de dirigeants dans leurs partis l’affirment et le confirment. Oui, Benkirane veut mettre la pression sur le palais afin de remporter les élections, comme si le palais avait encore la main sur les scrutins, ce que le roi avait par ailleurs clairement interdit en appelant à une vérité des urnes…et oui, Benkirane met la pression pour se maintenir en fonction en cas de victoire du PJD.

C’est donc en dénonçant le tahakkoum qu’on comprend que, in fine, la volonté d’hégémonie et de mainmise n’est pas là où l’indique Benkirane, mais bel et bien dans son propre parti qui excommunie qui il veut de la scène politique et qui accorde des satisfecits à qui il veut. Du tahakkoum, donc…


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