Il s’appelait Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron, il est né en 1731 et mort en 1805, à Paris. Le personnage fut étonnant, à bien des égards. Dans la somme dirigée par Mohammed Arkoun sur L’histoire de l’islam et des musulmans en France, Dominique Carnoy-Torabi nous présente l’originalité du travail d’Anquetil-Duperron : il était allé sur le terrain. En Inde, en l’occurrence.
Après ses humanités, il avait appris l’hébreu ainsi que les rudiments de l’arabe et du persan, expose par ailleurs l’indianiste Pierre-Sylvain Filliozat. À Paris, le jeune Anquetil-Duperron s’émerveille des manuscrits orientaux qu’il trouve dans le Bibliothèque du roi, mais s’aperçoit avec stupeur qu’il n’y a personne capable de les lire. Sur un coup de tête, à 23 ans, il s’enrôle quasi secrètement comme soldat dans une compagnie en partance pour l’Inde. Heureusement pour lui, ses protecteurs le retrouvent à temps, à l’embarquement. Ils font lever son engagement et lui octroient une pension, modeste, mais suffisante pour ses aventures, qui seront nombreuses et hautes en couleurs.
En 1754, la France et l’Angleterre sont alors en train de se partager, les armes à la main, le sous-continent. Anquetil-Duperron va séjourner, entre autres, à Surate, grand centre de commerce de l’océan indien, à la population hétéroclite, d’hindous, de musulmans et de zoroastriens. Il va étudier les textes sacrés auprès de docteurs parsis, surpris du caractère du personnage, mais néanmoins, semble-t-il, soucieux de lui transmettre quelque chose de sérieux.
D’improbables péripéties le ramènent en France avec un trésor de 180 manuscrits. Il écrit : « Je revenais en 1762 plus pauvre que lorsque j’étais parti de Paris en 1754… Mais j’étais riche en monuments rares et anciens… » Il consacrera la suite de sa vie, non moins mouvementée, à leur étude et leur traduction.
Aux XVII et XVIIIe siècles, explique Dominique Carnoy-Torabi, les récits de voyages et les études balbutiantes nourrissent des œuvres littéraires qui forgent une nouvelle fiction de l’islam et de l’Orient. Elle va remplacer, en partie, les rumeurs, passablement mal informées et malveillantes, du Moyen-âge européen sur le « Sarrazin » — qui devient, donc, « l’Oriental ». Mais la connaissance de l’islam se fait « au travers d’une instrumentalisation systématique ».
La religion du Prophète sert de paravent, de sujet de substitution, soit pour critiquer le protestantisme, soit pour dénoncer « l’infâme », comme disait Voltaire, à savoir l’obscurantisme, le fanatisme et l’ignorance. Autant dire que l’aspect du progrès de la connaissance scientifique est, lui, très contestable… Par effet collatéral, la légende noire se constitue inéluctablement. On en ressent encore les effets.
Anquetil-Duperron s’est élevé contre ça. Avec véhémence, et sans doute pas très adroitement. Lorsqu’il publie une traduction en français du Zend Avesta, texte fondateur du zoroastrisme, qu’il est le premier Européen à avoir lu de ses yeux, il est accusé par ses pairs — dont Voltaire — d’avoir tout inventé ! On reconnaît aujourd’hui, qu’à quelques très compréhensibles erreurs près, il avait pourtant raison.
Transformé en « énergumène tonitruant », notre polyglotte aggrave le scandale l’entourant avec un nouvel opus. Pour celui-ci, il s’appuie sur différentes sources dont, parmi les musulmanes, le Coran, divers tafsir-s en arabe et en persan, des recueils de hadiths, des textes du Mathnawi de Rûmi, etc. Le titre complet du volume est aussi long qu’éloquent :
Législation orientale, ouvrage dans lequel, en montrant quels sont en Turquie, en Perse et dans l’Indoustan, les principes fondamentaux du Gouvernement, on prouve, I. Que la manière dont jusqu’ici on a représenté le despotisme, qui passe pour être absolu dans ces trois Etats, ne peut qu’en donner une idée absolument fausse. II. Qu’en Turquie, en Perse & dans l’Indoustan, il y a un Code de Lois écrites, qui obligent le Prince ainsi que ses sujets. III. Que dans ces trois Etats, les particuliers ont des propriétés en biens meubles & immeubles, dont ils jouissent librement.
Il est publié à Amsterdam en 1778, et toute l’Europe « savante » lui rit au nez. La colonisation commence et personne ne veut entendre que le « despotisme oriental » n’existe pas, que les Orientaux ne sont pas plus malheureux que les autres et que leurs religions, tout comme le christianisme, sont, dit-il « l’appui des peuples, l’interprète et le soutien de leurs droits ». Il n’est pas sûr que beaucoup de choses aient changé depuis.
En l’an 2000, au Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, le groupe iranien Avay-E-Doust donnait un concert sous l’arbre merveilleux du musée Batha.
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