Ces dernières semaines, les attaques, rien que sur les sols européens et américains, ont été tellement nombreuses, qu’on finit par en perdre le compte. Voitures-béliers, couteaux et marteaux sèment les titres terrorisants à la une de tous les journaux. Leur traitement est révélateur d’une première et très regrettable réussite de Daech, que le sociologue Mohamed Tozy qualifiait très justement de « machine post-moderne ». Car, au fond, lorsqu’aux États-Unis une femme, Noire et enceinte, est abattue devant ses enfants par la police de Seattle, ou bien quand un élu du Congrès est blessé par les tirs d’un quidam, ce ne sont que des faits divers.
Mieux, un policier ayant tué de quatre balles le conducteur de la voiture qu’il contrôlait, sous les yeux de la famille de la victime, vient d’être acquitté par le tribunal. Simple accident, donc. Personne, ici, n’est coupable d’un quelconque homicide, pas même involontaire. Inutile d’évoquer un employé, à Orlando, qui, après avoir été licencié, a tué cinq de ses ex-collègues avant de se suicider. Business as usual.
À Londres, les bilans ne cessent de s’alourdir. À côté des agressions mortelles revendiquées par Daech, l’attaque à la camionnette contre les fidèles d’une mosquée est tout de même qualifiée de terroriste, même si l’on ignore encore le nom et les motivations du coupable — comme le fut celle d’une mosquée québécoise, par un identitaire du crû. Le 14 juin, le catastrophique incendie d’une tour a choqué par sa fulgurance et le nombre, toujours indéterminé, de ses victimes. Tour d’habitation à loyers modérés, elle a ceci de particulier que le quartier alentour s’est, depuis quelques années, gentrifié au point de devenir l’un des plus bourgeois de la ville.
Les accusations ont vite fusé, contre des élus — conservateurs — qui ont, semble-t-il, délibérément ignoré de nombreuses mises en garde sur sa vétusté et la sécurité, mais qui avaient, leur reproche-t-on aussi, choisi le matériau le moins coûteux et le plus inflammable pour améliorer… l’aspect extérieur du bâtiment, dont se plaignait le très aisé voisinage. La Première ministre Theresa May a enfoncé le clou, à sa première visite sur les lieux, en commettant l’impardonnable erreur de rencontrer les sauveteurs, mais pas les survivants. Françoise Vergès a un mot pour qualifier cet incendie : elle parle de « corporate terrorism », de terrorisme du capitalisme.
Toutefois, la « machine post-moderne », gérée par d’anciens nationalistes baathistes qui ont troqué leur panarabisme finissant contre un fondamentalisme flambant neuf, est la seule à inspirer un sentiment de peur panique, pourrait-on croire. Grâce à cela, quelques individus dépressifs piégés par les discours « culturalistes » des uns et des autres, avec pour équipement une voiture et un marteau, suffisent pour bénéficier d’une aura et d’une campagne média aussi mondiale qu’inégalée.
Cette captation de toutes les terreurs de ses contemporains est le premier capital symbolique de Daech, qui — non sans une parfaite logique, si l’on met de côté les syllogismes identitaristes — profite de l’aide des politiques et médias dits « démocratiques ». Ou pas : la Russie a ses Tchétchènes dans la même position, pour le même usage, ne l’oublions pas.
Theresa May a très sérieusement évoqué l’idée de revenir sur les droits de l’homme, tandis que le premier gouvernement d’Emmanuel Macron voudrait faire rentrer l’état d’urgence dans le droit commun, tel un vulgaire Ben Ali ou Mubarak. Ce qui ne choque pas grand monde, puisque son prédécesseur a fait la démonstration que cela ne viserait qu’une population précise, définie par des critères tus mais devinés de tous, sans empêcher les autres de passer la Nuit debout place de la République. Cela étant, quelques écologistes, après Julien Coupat et ses amis, savent déjà à quoi s’en tenir, sur la définition administrative des populations « dangereuses » : elle est souple et extensible.
Mais leurs bons gouvernants insistent : pour Paris, Londres et Guantanamo, ce qui mettrait réellement en danger « les valeurs de la démocratie », ce sont les juges et les droits humains. Bref, l’État de droit, quoi. La bande à Baader en rêvait, Al Qaeda l’a fait.
En 2000, le DJ brésilien Amon Tobin publiait son quatrième album, Supermodified, sur le label Ninja Tunes. On y trouve l’étonnant Four tons mantis, la mante religieuse de quatre tonne.
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