Un jour, James Joyce a dit une bêtise — mais ça lui arrivait tellement moins souvent qu’à beaucoup d’autres, qu’on la lui pardonne bien volontiers. À Trieste, en 1912, il a déclaré à propos de Robinson Crusoé que « Daniel Defoe fut le premier auteur anglais qui écrive sans copier ni adapter les œuvres étrangères. »
C’est que le thème du naufragé a été exploité bien avant Defoe, notamment par l’Andalou Ibn Tufail, au XIIème siècle, sous le titre de Hay Ibn Yakdhan (ou Vivant fils du Vigilant). Seul sur une île déserte, un enfant est allaité par une gazelle. En grandissant, à force d’observation et de réflexion, Vivant découvre que la nature, maternelle, lui offre de quoi survivre s’il la préserve. Il développe par lui-même les notions de la science — de son temps — sur l’univers. Dans sa pureté, il reconnaît, bien sûr, que, derrière la multiplicité des créatures ne se peut trouver qu’un Dieu unique. Ibn Tufail fait rencontrer son personnage à un ermite, qui lui apprendra le langage, paternel, et, donc, ce qui lui manquait pour parfaire son culte naturel, sa fitra, qu’il va pourtant reconnaître comme supérieure à la sienne.
En Europe aussi, sous le titre de « Le Philosophe autodidacte », ce modèle de « roman d’éducation » comme en produiront tant les Lumières, a été un best-seller. Avant même l’imprimerie. Il sera traduit en hébreu, à Narbonne en 1349, puis en latin, à Oxford — on se rapproche – par Edward Pococke en 1671 et 1700. Sans compter la traduction en plain anglais par Ockley, à Londres en 1708. Defoe publiant son Robinson en 1719 au même endroit, ça fait quand même une grosse coïncidence…
En revanche, Joyce continue en soulignant que « Le vrai symbole de la conquête britannique, c’est Robinson Crusoé qui, naufragé sur une île déserte avec en poche un couteau et une pipe devient architecte, charpentier, rémouleur, astronome, boulanger, constructeur naval, potier, bourrelier, agriculteur, tailleur, fabricant de parapluie et ministre du culte. C’est lui le véritable prototype du colonisateur britannique, de même que Vendredi (le fidèle sauvage qui se manifeste un jour porte-malheur) est le symbole des races asservies. On trouve dans Crusoé toute l’âme anglo-saxonne : l’indépendance virile, la cruauté inconsciente, la ténacité, l’intelligence lente et pourtant efficace, l’apathie sexuelle, la religiosité pratique et bien équilibrée, la taciturnité calculatrice. Quiconque relit ce livre simple et émouvant à la lumière de l’histoire ultérieure ne peut manquer d’en subir le charme fatidique. » Là, on ne peut que donner raison à notre génial Irlandais.
C’est Jean-Jacques Rousseau qui a fait, en France, la réputation de Robinson Crusoé, le qualifiant de « plus heureux traité d’éducation naturelle. » La conférence de Joyce à Trieste s’étant tenue en 1912, date précisément « fatidique » pour le Maroc, on ne peut que regretter que Rousseau n’ait pas plutôt fait la promotion d’Ibn Tufail, puisqu’il est fort possible qu’il l’ait lui aussi — mal — lu.
En 1997, David Arnold, publiait Shaken and Stirred, un album de reprises des grands titres de James Bond, qui fut salué par John Barry lui-même. Parmi les titres, on compte le très efficace On Her Majesty’s Secret Service, avec la collaboration de Propellerheads, rien que ça.
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