Il a cassé les internets. Il a tweeté un message, en anglais, signé « Le peuple allemand ». Traduit, ça nous fait à peu près ça : « Chers Américains, allez-y, votez pour l’homme qui parle fort, qui déteste les minorités, menace d’emprisonner ses opposants, se fout complètement de la démocratie, et prétend qu’il peut régler tous les problèmes tout seul. Que pourrait-il arriver de mauvais ? » Il rajoute « Bonne chance », et place le hashtag « #been there, done that », à la saveur intraduisible, mais dont le sens littéral serait : « On y était, on l’a fait ». Une sorte de « déjà-vu », mais sans français dans le texte, ni glitch dans la Matrix. (Quoique…).
Évidemment, en pleine campagne, à quatre jours des élections, ça fait son petit bruit dans le Landernau de la politique électronique. Sans se départir de son ton sarcastique, cet Allemand de San Diego s’amuse de son quart d’heure de célébrité, mais remarque qu’« Andy Warhol n’a jamais parlé des menaces de mort ». C’est qu’il en reçoit. Pour un tweet. Derrière son pseudonyme de Johan Franklin, il explique qu’à chaque fois qu’il quittait sa Germanie natale, il se trouvait toujours quelqu’un pour lui demander comment les Allemands ont pu, un jour, chose inconcevable, voter pour Adolf Hitler. Il remarque que, curieusement, on lui pose beaucoup moins la question « depuis quelque temps ».
Pendant ce temps, sous les cieux brumeux d’une île qui nous a donné tant de choses fantastiques, comme le cadre de la série Game of Thrones, une Haute Cour de Justice vient de rappeler le droit comme un coup de tonnerre. Elle a dit que seul le Parlement peut défaire une loi qui a été faite par le Parlement. Selon la Constitution (orale), le gouvernement ne peut pas activer le désormais célèbre article 50 de lui-même. Là-bas, un referendum ne peut être que consultatif. Il ne fait pas la loi. L’exécutif, encore moins. Après tout, en 1327, déjà, ledit Parlement a déposé Edward II et, en 1399, il a intronisé Henry IV après avoir destitué Richard II — qui avait eu la drôle de prétention de faire des lois tout seul. La Cour veille au respect d’une coutume passablement établie. Donc, Brexit or not Brexit, au Royaume-Uni, le peuple n’est pas souverain. C’est la Nation qui l’est. Et la Nation est représentée par les élus des deux chambres : celle des Lords et celle des autres. Scoop : la Nation n’est pas le peuple ! Les équipes de Rupert Murdoch en sont sidérées.
Le cas français est plus compliqué. La Constitution de 1958 mélange un régime représentatif – celui des Anglais – avec un soupçon de démocratie directe, afin que l’on puisse dire le peuple souverain. Tout de même. On lit ainsi dans l’article 3 que « la Souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Ce qui laisse encore de longues années de glose aux commentateurs pour déterminer ce qu’il s’est passé lorsque, après que le « Non » a remporté un référendum sur la Constitution Européenne, l’exécutif a fait voter « Oui » aux parlementaires, pour le traité de Lisbonne.
Peu de temps avant de nous quitter, Mohammed Arkoun, en anthropologue sourcilleux, remarquait qu’après tout, la notion de souveraineté populaire « est aussi abstraite, aussi contraignante, aussi difficile à saisir et à réguler que l’axiomatique divine » et que «dans bien des pays, l’ensemble des citoyens qui votent ignore largement ce qu’ils sont en train de faire ».
En 1999, les jazzmen Didier Malherbe et Loy Ehrlich publiaient leur album Hadouk, un mot-valise composé à partir des noms du hajouj, la basse gnawa, et du doudouk, un hautbois arménien. Le titre Loukoumotive avait de quoi réjouir les oreilles de tout âges.
Poster un Commentaire