Annoncé lors de la visite de SM le Roi Mohammed VI à Abuja au Nigéria, l’ambitieux projet de construction d’un gazoduc entre le Maroc et le Nigéria, qui consiste en une importante extension d’un gazoduc déjà existant qui part du Nigéria et qui s’arrête au Ghana, est par bien des aspects révolutionnaire.
Cependant, parler d’un partenariat Sud-Sud comme le font certains médias c’est se situer par rapport à un Nord qui serait la référence.
Il serait ainsi plus adéquat de parler d’un partenariat Afrique-Afrique, d’un partenariat continental, car ce dernier s’inscrit dans un nouveau paradigme géopolitique proposé par le Maroc, qui rompt avec les grilles de lectures obsolètes du XXème siècle.
Mis à part les mérites économiques directs escomptés, et qui ont été largement repris et analysés par les différents médias et experts africains, les implications géopolitiques et géoéconomiques de ce projet dépasse de loin les seuls gains économiques.
Car en plus d’être un moyen de transport d’hydrocarbures, les pipelines sont également des vecteurs d’influence et des instruments de géopolitique, à l’origine de plusieurs tensions, voire de guerres entre pays concurrents dans le grand échiquier énergétique mondial.
Les exemples ne manquent pas :
- La guerre en Syrie, se déroule sur fond de rivalité régionale et de concurrence entre deux projets de pipelines : le pipeline « Islamique» censé transporter le gaz iranien vers la méditerranée en passant par l’Irak et la Syrie, et le projet de pipeline Qatari qui visait à acheminer le gaz qatari vers le l’Europe via la Turquie, et qui devait également traverser le territoire syrien. L’État syrien ayant opté pour le premier projet, cela explique en grande partie l’acharnement du Qatar et de la Turquie contre la Syrie par un soutien inconditionnel aux rebelles.
- Autre exemple : le projet « Nabucco» et les tensions autour de l’Iran. Ce projet était censé acheminer le gaz iranien vers l’Europe, ce que Washington voyait d’un mauvais œil, craignant que Téhéran ne convertisse ce réseau énergétique en instrument d’influence politique vis-à-vis de l’Europe.
- Enfin un troisième exemple, le projet de pipeline russe « south stream», concurrent du projet « Nabucco », qui a été saboté suite à des pressions de Washington sur la Bulgarie, dont le territoire devait être traversé par le pipeline.
Du point de vue marocain, la mise en place du gazoduc permettra d’accroître la souveraineté énergétique du Maroc à travers cette nouvelle source d’approvisionnement, qui s’inscrit dans une sage stratégie de mix énergétique, qui n’entre en aucun cas en contradiction avec la transition marocaine vers une économie verte. Ainsi, mettre en concurrence différents fournisseurs (États-Unis, Russie, Nigéria, …) ne peut qu’accroître la marge de manœuvre du Maroc. Cela fera également du Maroc une zone majeure de transit-énergétique vers l’Europe et un important hub énergétique régional, ce qui renforcera le positionnement stratégique du Maroc dans la région.
Au niveau régional, la réalisation de ce projet de gazoduc transafricain aboutira à la mise en place d’importants schémas d’interdépendance économique, qui pourront servir de substrat à une future zone économique commune, à une sorte de « Zollverein africain », le « Zollverein » désignant l’union douanière et commerciale entre États allemands fondée en 1833, et qui a servit d’infrastructure économique à l’émergence d’un Etat Allemand unifié.
Il s’agit à terme de s’appuyer sur ce pipeline en tant que support tangible, en vue de faire émerger à terme une « dorsale économique africaine », ou autrement dit un « croissant économique Ouest-Africain » allant du Nigéria jusqu’au Maroc, une sorte de « banane bleue » africaine, en référence au concept proposer par Roger Brunet, correspondant au cœur économique de l’Europe allant du Nord de l’Italie jusqu’en Hollande et Belgique en passant par l’Allemagne, et qui, vu par satellite de nuit, apparaît comme une bande lumineuse faisant penser à une banane ou à un arc tendu.
Les 10 pays que le gazoduc devra traverser représentent une superficie totale de 3,5 millions de km², une population totale de 321 millions d’habitants et un PIB global en PPA de 1500 milliards de dollars. Cela représente un immense marché largement sous-exploité, qui dans le cas d’une plus grande intégration économique à travers un accord multilatéral de libre échange, un accompagnement financier adéquat et un soutien des différents gouvernements p dans un cadre global protectionniste, servir de plateforme à une géopolitique Ouest-Africaine continentale ambitieuse. Sa finalité sera de rompre avec les schémas post-coloniaux de dépendance économique, politique, culturelle et technologique vis-à-vis d’un Occident, qui ne manquera pas de nous mettre des bâtons dans les roues, sachant que le l’Afrique est le prochain « pivot géostratégique », aussi bien d’un occident vieillissant que d’une Chine avide de ressources naturelles.
Car celui qui dans 30 ans, contrôlera le pivot africain, fera incontestablement partie des grandes puissances de ce monde.
Alors, saurions-nous, nous africains, convertir nos atouts stratégiques en une nouvelle doctrine géopolitique Africaine d’émancipation ?
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