Depuis longtemps, mais alors, très longtemps, le pont aux ânes des analyses de la région dite Mena — l’acronyme anglais pour « Moyen-Orient, Afrique du Nord » —, est de tout ramener à la religion majoritaire, qui serait le facteur explicatif de tous les manques, politiques, économiques et sociétaux. Assez bizarrement très peu — en dehors des cercles économiques, qui, pour ce genre de choses, peuvent avoir les pieds un peu plus sur terre — envisagent de chercher un point de comparaison qui puisse proposer quelques similitudes éclairantes.
Si « comparaison n’est pas raison », force est de constater que de placer l’Amérique Latine en miroir pourrait aider à réfléchir à ce qu’il se passe. Après tout, ce continent-là regorge de pays dits, eux aussi, « en transition », avec des économies fortement rurales. Comme ici, les régimes dictatoriaux se sont (ou sont encore…) répartis entre « progressistes » et « libéraux », les uns ayant violé autant que les autres les droits humains les plus élémentaires. Nul n’a pourtant songé à traiter un Castro ou un Pinochet de « despote oriental », condamné par sa « culture » à « toujours répéter les mêmes gestes ».
Là-bas encore, la condition féminine est, pour le moins, problématique. C’est même pour ce qui s’y passe qu’a été forgé le terme de « féminicide ». Pas seulement à cause du taux, affolant, d’homicides conjugaux. Mais aussi parce que l’on y découvre de temps à autre des charniers de femmes. Oui, des fosses communes « sauvages », comme celles de Ciudad Juárez, à la frontière du Mexique et des USA, où ne sont entassés, exclusivement, que des corps de femmes, dont on ne sait rien.
Ni de leurs vies, ni de leurs morts. Dieu merci, on n’a jamais vu ça dans « la région Mena ». Pourtant, mis à part les missionnaires évangélistes, on ne voit guère — et c’est heureux — de « spécialistes » venir nous expliquer pouvoir changer la situation avec des cours d’exégèse ou en réécrivant la Bible. Au demeurant, il y a de très courageux prêtres en première ligne pour se battre contre ce fléau, parmi les autres.
Last but not least, le Mexique est aux marches de l’empire américain, comme le Maghreb ou la Turquie le sont à celles de l’UE. Patronats et syndicats du monde en conviennent aisément, même si c’est avec des points de vue diamétralement opposés. Les uns sont intéressés par une main d’œuvre et un export à bas coût, les autres sont horrifiés par des conditions de travail passablement dégradées — voire dégradantes.
Enfin, il est des gens, notamment parmi les bruyants soutiens de Donald Trump et de son mur, qui prétendent que « les papistes » (sic), c’est-à-dire les catholiques, ne pourraient pas s’intégrer dans un pays « libre », entendez : « protestant ». C’est à garder en tête chaque fois qu’un ou une politicien(ne) européen(ne) développe exactement ce même argumentaire, en remplaçant simplement le catholicisme par l’islam, et le protestantisme par… le catholicisme — nationalisé, pour ainsi dire. C’est que ça tourne quand même un peu en rond, l’identitaire.
« Mais ça n’a rien à voir », vous répondra-t-on. Là bas, n’est-ce pas, il y a des guérillas, les cartels de la drogue, les ingérences étatsuniennes, et puis les gens sont pauvres… Ça explique… D’accord. Tout à fait d’accord. Mais, au fait, dans la région Mena, il n’y pas de guérilleros ? Bon. N’essayez pas de décrire le terrorisme contemporain comme une forme de guérilla mafieuse, mais qui toucherait aussi l’empire à l’intérieur de ses frontières, vous risqueriez des ennuis judiciaires… Inexistants, soudain, l’argent du kif et celui du pavot.
Invisible, l’arrivée des cartels sud-américains, justement, au Sahel. Et puis, les anciens pays coloniaux ne se mêlent tellement plus du tout des affaires des autres, que l’on en reste béat d’admiration. Enfin, à en croire les avis autorisés, l’économie du pétrole, vraiment parfaite, ne pèse pour rien. Et tout le monde est riche, dans la zone « Moyen-Orient, Afrique du Nord ». La bêtise est assurément la chose la mieux partagée au monde. Le groupe de rap cubain Orishas publiait en 2000 son premier album, A lo Cubano, avec une reprise du Chan Chan de Compay Segundo.
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