Cet été, nous l’avons remarqué, il a fait chaud, très chaud. Mais la température a également grimpé sur la scène politique, à des degrés inédits et jusqu’à il y a peu, inimaginables. Il faut dire que jamais un gouvernement au Maroc n’a été aussi sectaire, et rarement un gouvernement au Maroc n’aura été aussi manichéen. Même du temps d’El Youssoufi, le gouvernement faisait son travail, bien ou mal, mais ne s’attaquait pas aux autres. Il en va différemment de celui conduit par le PJD et présidé par Abdelilah Benkirane.
Et le résultat est là… une classe politique scindée en deux, entre ceux qui défendent le gouvernement et ceux qui le pourfendent. Et une société divisée en deux camps également, ceux qui voient que ce gouvernement est bon, et ceux qui entrevoient les risques qu’il fait peser sur la cohésion sociale. Et de fait, la cohésion sociale est mise à mal.
Quel bilan tirer de l’action gouvernementale sur ces presque 5 dernières années ? Abdelilah Benkirane dit, redit et assourdit que les comptes publics ont été assainis. Reconnaissons que c’est en partie exact. La Caisse de compensation est passée de 54 milliards de DH en 2012 à moins de 15 milliards en 2016. On dit que c’est grâce à la chute des cours internationaux des hydrocarbures que cela s’est fait sans contestation sociale, et c’est vrai, mais le résultat est là. Le déficit budgétaire est passé de 7% en 2012 à quelque 3,5% pour 2016. Les réserves monétaires ont été sensiblement améliorées, bien que la croissance soit restée atone, mais cela pourrait être raisonnablement mis sur le compte de la récession mondiale de ces dernières années, et de la pluie si capricieuse dans notre ciel. Ainsi, le bilan économique du gouvernement Benkirane n’est ni meilleur ni pire que celui de toute autre alliance qui aurait été aux affaires.
C’est dans le style de gouvernement et dans l’approche et le positionnement social que les problèmes se posent, et que des solutions s’imposent.
Le style c’est l’homme, dit-on, et force est de reconnaître que le style de Benkirane pour autant qu’il soit sincère, plaît aux masses populaires, qui se reconnaissent dans son discours d’opposant, mais un opposant du dimanche, du week-end et jours fériés, chef de gouvernement les autres jours. Et c’est là que le bât blesse. Benkirane n’est pas un opposant ; il est membre, et même chef, du gouvernement. Que veut-il de plus ? Car son discours qui souffle le chaud et le froid fait mal, non pas à ses contempteurs et pourfendeurs seulement, mais au Maroc tout entier. Pourquoi ? Parce qu’il est manichéen et qu’il divise. Et il est clivant parce que dans son action sociale, Benkirane est dur.
Lors d’un récent entretien avec un dirigeant du PJD, il est apparu que ce parti est convaincu d’avoir fait le travail. Et le responsable d’égrener les chiffres très positifs ainsi que nous l’avons déjà dit. Mais le problème est ailleurs.
Le problème est l’approche sociale du PJD, et le fait qu’au lieu de bénéficier de sa popularité pour tirer la société vers le haut, il la caresse dans ses instincts les plus bas, les plus sectaires, les plus rétrogrades, dressant les uns, les bons, les siens, contre les autres, les mauvais, ses opposants. Pour Benkirane et ses frères, rien ne semble être plus important que la posture religieuse, la tradition, l’identité arabe, mais sa posture religieuse, sa tradition, son identité arabe, bien que nous soyons tous issus de la même matrice, à savoir le Maroc.
Le discours de Benkirane divise donc, dressant les uns contre les autres, s’en prenant à ceux qui n’ont pas l’ostentation spirituelle requise. Pour être encore plus fort, il ratisse large, œuvrant à dominer la scène politique, entreprenant une politique hégémonique sur le modèle des plus grands tribuns que l’histoire ait connue, ne s’embarrassant pas de prendre les postures opportunistes qu’il reproche aux autres d’emprunter. Il s’en prend vertement au SG du CNDH, il attaque brutalement l’opposition parlementaire, il fait donner sa garde rapprochée contre Bank al-Maghrib, la CGEM, le HCP et bien d’autres… Il refuse de parler aux médias qui ne le soutiennent pas, il insulte ses contempteurs et il est même allé jusqu’à évoquer l’existence de deux Etats au Maroc, l’un dirigé par le roi et l’autre par on ne sait qui, s’attirant un sévère recadrage de Mohammed VI, pourtant bien au-dessus de la mêlée.
L’essentiel donc, pour Benkirane, est de se maintenir, pour un dessein qu’il semble seul à connaître. Mais après avoir cru en Dieu, il croit aujourd’hui en lui, et de l’avis d’un de ses frères qui le connaît bien, l’homme est animé d’une ambition démesurée.
Il faut le dire et le redire, le problème n’est donc pas dans le PJD, mais dans son chef. Le PJD est un parti conservateur, parfois aux dérives regrettables, mais un parti qui se cherche et qui apprend à exister dans sa forme institutionnelle. Il est arrivé, à force de travail et de présence et d’actions sur le terrain, à se hisser au premier rang. Ses cadres et ses membres estiment que c’est à Benkirane qu’ils doivent cela, mais Benkirane est un produit dopant, par essence interdit. Le PJD pourrait faire de belles et grandes choses en allant plus lentement, et en mettant à sa tête un personnage moins rugueux qu’Abdelilah Benkirane.
Je vois que notre presse n’arrive pas à voir au dela de benkirane et c’est dommage.