L’expression post-vérité, « post truth », en v.o., a été désignée « mot de l’année » par l’Oxford Dictionary — dans ses versions britannique et américaine. Son usage a fait un bon de 2000 % entre 2015 et 2016. Les aventures électorales des deux pays y sont bien sûr pour quelque chose. Le dictionnaire définit le sens ainsi : « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence dans la formation de l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux croyances personnelles ».
À prendre le mot au sens fort, on ne peut que remarquer que, partout sur la planète, saints, sages et philosophes, ont beaucoup plus souvent dénoncé notre bas-monde comme un lieu d’illusions. La vérité, pour eux, relève d’un autre monde. L’islam, comme les messages précédents, fait de la Vérité, al-Haqq, un nom divin. Il n’y a pas plus élevé. Côté philosophique, on peut se souvenir du mythe de la caverne de Platon. Nous vivons dans une grotte, dans laquelle nous observons des ombres, sans réalité, donc.
Le temps de cette chronique étant compté, acceptons l’affirmation grossièrement caricaturale que, depuis Descartes, disons, la pensée philosophique moderne s’est mise à vouloir que la vérité ne se puisse trouver qu’ici-bas. Ici et maintenant. Dans les faits. Et même seulement dans les faits mesurables et quantifiables, imposera le positivisme du XIXe siècle. Depuis cette dernière date, on n’a pu dire « vrai » que ce qui repose sur au moins un fait vérifiable. Que le siècle suivant, le XXe, a été celui où les peuples du monde se sont allègrement entretués au nom de leurs différentes interprétations, des faits, peut nous interroger sur la valeur de ce critère de vérité.
Et la question a été posée par d’éminents penseurs, dont Michel Foucault, qui a montré avec brio comment, au cours de l’Histoire, l’humanité a connu différentes façons de concevoir et de produire le « vrai ». En un mot, il va appeler « régime de vérité », un ensemble de croyances partagées et d’institutions établies qui permettent, à un moment donné, de définir ce qui est tenu pour vrai — même si ce « vrai » d’un jour contredit celui d’hier et l’autre de demain. D’autant que certaines « vérités » ici, ne le sont pas forcément là-bas. Et réciproquement. Ainsi, les régimes de vérité, ce qui permet de construire et définir la pensée commune, peuvent varier selon l’époque ou la région.
Andrew Calcutt, de l’université d’East London, reproche précisément à Foucault, et surtout à ceux qui l’ont suivi, d’être la cause de cette « post-vérité » que nous vivons. Mais ces philosophes postmodernes n’ont jamais fait que dire combien la notion de vérité, en ce seul bas monde, donc, est plutôt évanescente. On peut douter qu’ils soient les seuls responsables des usages commerciaux et politiques qui ont été faits, moins de leurs textes que de la même constatation. Il ne faut pas oublier que Foucault fait aussi un éloge appuyé de la parrêsia de Socrate, de son « courage de dire la vérité ». Alors que, oui, désormais les marques se soucient plus de leur réputation — pardon, de leur branding — que de la qualité de leurs produits, et les politiques — on y revient —, de l’émotion publique suscitée par leurs propos que de leurs actes. Oui, les célèbres « spin doctors » de Bill Clinton, Tony Blair et Barak Obama ont, en effet, pavé la voie vers la communication émotionnelle de ceux que nous appelons, maintenant horrifiés, des démagogues. On peut accorder à Calcutt que ce monde de « post-vérité » est issu d’une logique venue de loin. Mais de très, très loin, même. Et que nos postmodernes continuent à vouloir se « libérer » de toute « métaphysique », disent-ils, laisse songer que nous risquons de rester encore un moment dans la fameuse caverne.
Cela étant, les ombres y sont projetées par une lumière — extérieure — et peuvent donc, par là, nous faire signe. Nous signifier le Vrai. Dieu ne nous promet-Il pas de nous montrer Ses signes, en nos âmes et à l’horizon ? On me dira peut-être qu’il restera encore à s’accorder sur leur interprétation. Je ne pourrais que… m’incliner devant le fait. Mais peut-être que le verset, l’ayat en question, qui, entre autres, participe à fonder un « régime de vérité », nous suggère-t-il que la concordance et la synchronicité entre l’intérieur et l’extérieur, le cœur et le monde, voire l’émotion et le fait, pourrait-être un bon indicateur ?
Puisque nous venons de fêter le Mawlid, Aïd mubarak à tous, avec Sheykh Hamza Shakkur et les derviches tourneurs de Damas. Forcément.
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