Ça y est, la course aux primaires américaines a commencé, avec déjà quelques abandons, déjà quelques surprises. Et une question : est-ce que les États-Unis, avec leur apparent succès à sortir de la crise et malgré tous les employés d’entreprises innovantes façon start-up qui lancent des posts viraux sur le fait qu’ils ne peuvent pas s’offrir de la nourriture en dehors des snacks gratuits disponibles au bureau, est-ce que les États-Unis, donc, vivraient une crise de la confiance politique équivalente à celle de l’Europe ?
Ah ben non, pas perdre espoir, dites-moi. Enfin pas tout à fait. Non, disons simplement à se radicaliser dans le discours et les attentes. Parce que je ne sais pas si vous avez vu, mais Donald Trump, que j’étais la première à prendre pour un clown, une espèce de Sara Paulin en moins attendrissant, il commence à faire carrément peur, façon clown de film d’horreur, façon Stephen King. C’est qu’il a triomphé au New Humpshire et, pire, en Caroline du Sud, un état clé car essentiellement conservateur chrétien, là où l’on attendait que ses concurrents soient mieux placés que lui. Jeb Bush, dont le père comme le frère avaient remporté l’état haut la main s’est carrément retiré de la campagne. Et Ted Cruz, qui espérait bien se placer auprès des évangélistes est désormais presque certain de n’aboutir à rien, puisque Trump lui a volé la vedette. En fait, sur les 12 candidats en lice côté Républicains, 7 se sont déjà retirés et seulement 3 gardent véritablement l’espoir d’arriver à quelque chose : Trump, donc, hélas, très loin devant, grand favori qui n’agrée pas aux structures du parti mais qui semble pourtant bien placé pour gagner, Cruz, conservateur genre droite très droite et en même temps marketé renouveau qui pourtant ne séduit pas et Marco Rubio, jeune, très jeune, incarnant à lui seul l’ouverture républicaine puisque d’origine cubaine et ayant voté avec les démocrates sur la question des immigrés. Et j’ai dis trois pour être sympathique : Cruz n’a aucune chance, car Trump joue trop sur son terrain et le report de voix de Jeb Bush se fera en faveur de Rubio, qui déjà, arrivait second seulement en Caroline du Sud. La question est alors quels points communs ont ces deux candidats et qu’est-ce qui fera la différence?
Oui, la différence, la première, c’est que l’un est clairement raciste et l’autre non. Vous imaginez, vous, un candidat que le pape même a déclaré non chrétien à cause de son idée de mur anti-migrants ? Étonnamment, ça n’a fait que le rendre d’autant plus sympathique aux évangélistes qui se méfient du pape, mais ça a de quoi faire frissonner à la pensée qu’il puisse devenir président. Non pas parce que j’adore le pape, même si franchement, je l’admire de plus en plus, mais parce que de fait, le pape a tout de même pas mal d’influence politique et que ce serait un assez mauvais signe qu’une des grandes nations chrétiennes lui tourne complètement le dos, s’aliénant par là-même encore un peu plus ne serait-ce que l’Amérique Latine et l’Europe. Bref ! Ok, ils sont différents, l’un est jeune, l’autre rabat sa mèche le plus loin possible sur l’avant, l’un est relativement ouvert, l’autre veut tout verrouiller à coup d’armes et de slogans plus haineux que ce qu’ose le Ku Klux Klan ces derniers temps. Pourtant, ils ont des points communs aussi dans leur discours : ils sont tous les deux alarmistes, utilisant tous les ressorts de ce que le Tea Party avait de plus flippant, attaquant le système, l’establishment pour parler un « discours de vérité » à la manière dont Maïtena Biraben l’évoquait pour Lepen, bref. Ce ne sont pas des modérés, même si Rubio se présente comme tel.
Ouais, la liberté, les fleurs et la bisounoursie, le bonheur, quoi. Côté démocrate, alors, où on en est ? On n’a plus que deux candidats en lice sur trois, Hillary Clinton et… Ben Sanders. Hillary a remporté le Nevada, certes, mais d’une très courte tête, à quelques 52 % alors qu’il y a quelques mois, Sanders n’existait pas. Lui, il avait tout pour déplaire au départ. Il est vieux, il est de gauche et il ne s’en cache pas, il veut tout casser du système actuel, où il considère que ce sont les entreprises et les lobbys qui dirigent (il n’a pas tout à fait tort). Il avait commencé sa carrière politique en s’opposant à la guerre en Irak et là, il veut doubler le montant du salaire minimum, imposer la gratuité de l’enseignement supérieur et rendre universelle la couverture santé. Bref, il est l’équivalent américain de Syriza ou de Podemos. Il est les 99 % et figurez-vous que ça marche. Ça marche tellement bien qu’Hillary, la candidate du système que tout le monde voyait gagner hyper facilement finit par radicaliser son discours aussi. Plus ça va et plus elle essaie de taper à gauche, avec un discours axé sur les minorités et… Même en tapant sur les entreprises, elle aussi. Je cite son dernier meeting, où elle a lancé un avertissement aux « hommes et femmes qui dirigent les entreprises de notre pays. » Je cite : « Si vous abusez de vos employés, exploitez vos consommateurs, polluez notre environnement ou arnaquez les contribuables, nous vous demanderons des comptes. » Ouh ! On a peur, tout d’un coup…
Non, bon, allez, sérieusement. Il n’empêche que, quand on prend du recul, que voit-on ? 1) les discours, républicains comme démocrates, se radicalisent. 2) ce ne sont plus les jeunes qui portent l’idée de renouveau ou de radicalisme, comme si la jeunesse s’était normalisée au point de ne plus savoir sortir du cadre de pensée actuel, lequel pourtant, est rejeté en bloc par les électeurs. 3) s’il y a pléthore de pensée de droite conservatrice et dure, cela ne fait que profiter à l’original, pur et dur, à savoir Trump. Il n’y a aucun moyen de récupérer véritablement le discours d’extrême droite pour les candidats classiques du système, la bouture ne convainc pas. 4) Et si jusqu’à lors, aucun candidat ayant un programme ouvertement de gauche n’a jamais passé les primaires, il semble bien que Sanders ait ad minima obligé une Hillary Clinton jusqu’à présent surtout produit du système sans tellement de conviction extrême à prendre position différemment et ça n’est pas rien. 5) et ça, c’est très intéressant : sur cette campagne où il n’y a jamais eu autant d’argent dépensé, jamais autant de moyens insensés d’influencer les votes, ce sont pourtant les outsiders du système qui font les résultats les plus surprenants. Trump, parce que c’est lui qui finance sa campagne, Sanders parce qu’il est très peu soutenu et qu’il n’a pas d’argent. Est-ce que pour la première fois, le système pourtant libéralisé jusqu’à la moelle, permettant toutes les dérives possibles va s’effondrer quand même face aux mêmes ornières que celles qui font trébucher la politique en Europe ? Est-ce que pour une fois, la campagne présidentielle américaine se fera sur des convictions claires, matinées de populisme plutôt que sur le montant de pognon dépensé ?
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