Ce qu’est un réfugié ? D’abord : un participe passé qui le désigne d’emblée à la confusion et à ce que cette confusion permet d’outrances. Et de violences. D’abord symbolique et bien sûr physiques.
Autrement dit, cela peut signifier que le réfugié, s’il est un participe passé, – et si les mots voulaient dire quelque chose -, serait celui ou celle qui aurait déjà trouvé refuge.
Alors, que dire, comment nommer ceux qu’on refuse, auxquels on ne veut pas donner refuge. Qui dorment dans la rue. Et comment ne pas juger qu’ils ne portent, en vérité, que le nom contraire, que le nom inverse de leur condition d’individus niés, déniés. Et dans les faits, et du fait d’une appellation fausse.
On comprend donc mieux cette profonde, terrible ambiguïté qui est celle du Réfugié comme Nom. C’est-à-dire comme faux-nom. De sorte que celui ou celle qui porte déjà un faux-nom, peut tout aussi bien, en porter un autre… Tout aussi faux.
On comprend donc bien pourquoi le Réfugié peut, très vite, sans que cela ne pose problème, se voir nommer Migrant. C’est-à-dire un être sans situation… Qui perpétuellement passe, qui n’est jamais un point sur la carte. Pas de départ. Ni même d’arrivée, pour le Migrant.
Un participe passé, le réfugié.
Mais qui efface, étrangement, systématiquement, tout le passé de celui, de celle, de tous ceux qui cherchent refuge… Et dès qu’ils le trouvent, il apparaît bien vite que tout ce qu’ils ont été, que tout ce qu’ils auront fait avant, que tout cela n’existe plus. Que toutes formes d’écritures de soi, – souvenirs, travail, savoirs – que ce qui fait un humain et son pesant d’histoire personnelle ne vaille plus face à ce qui le fait désormais, comme réfugié, n’être plus que le poids, que la somme des besoins, à prendre en charge.
Quantifié, le réfugié, n’a plus d’autre qualification que celle de ventre à nourrir. De corps à placer. À déplacer. Le réfugié s’il est pris en charge, est, de fait, privé de l’œuvre de sa vie.
À ce titre, ce n’est même pas un étranger…
Car il y a, dans la figure de l’Etranger, quelque chose de l’ordre de la liberté. Il a choisi de partir, un jour, pour un ailleurs. La tradition veut que l’Etranger vienne, librement, chez nous… Et que, dès lors, nous lui demandions d’où il vient, quelles sont ses croyances, ses manières, afin que les ayant comparés avec les nôtres, nous puissions juger de la manière dont il faudra, soit réduire, ou accroître la part d’étranger qui est la sienne.
Être sans passé, simple corps sans œuvre… On ne s’étonnera donc pas que cet être « vide », se voit si facilement et si affreusement requalifié… Enfermé dans l’une ou l’autre des trop nombreuses catégories du désœuvrement. Pour finir, très vite dans des classifications dîtes à risques, celles que l’on qualifie de dangereuses…
Devenu cible de substitution par excellence, il suffit de peu de choses pour que le Réfugié, devienne, à terme, la figure idéale, tant attendue du contre-citoyen ! Prétexte idéal pour que se voit reposée, à son propose, la question de l’Identité nationale, que sa seule présence met en crise…
Ainsi, le nom du réfugié, faux-nom, appellation aléatoire, signifiant vide que l’on rempli, selon les circonstances, des significations qui permettent les désignations les plus méprisantes, les plus horribles, est-il cet être sur lequel s’abattent et la violence symbolique et la violence physique, et enfin, la politique, celle des Etats. Alors, rendre à cet être, à ces humains, tous les droits humains, c’est commencer, d’abord, par lui rendre le nom qui est le sien… C’est considérer qu’il porte le fardeau d’une vérité insupportable…
Laquelle ? Il est cette part de Monde que je ne peux voir et comprendre s’il ne vient pas à Nous, – cette part de guerre dont ma paix et mon ignorance ne veulent peut-être pas… Ce que les médias, ne peuvent pas montrer qui ne savent que « parler » des réfugiés, comme d’une masse, un Tout qui fait oublier toute la singularité de celui, de celle, dont il s’agit ici.
Il est ce qui dit que Tout peut basculer. Parce qu’il est une figure de l’Humilité même… Il est peut-être la Condition la plus chimiquement pure de l’Homme, – et qui interpelle, en profondeur, la reposant brutalement, la question, la définition même de la Culture : à savoir qu’il repose la question de la Vulnérabilité et de la Mortalité.
Il me commande, – et peut-être que je n’aime pas – au nom de « Ma Liberté », qu’on me commande ! Il y a, en lui, quelque chose qui m’intime, qui m’ordonne – comprendre qui me fait entrer en moi pour y retrouver « Ce » qui compte, « Ce » qui est incontournable, incontenable : un visage.
Ce visage sur lequel est écrit : Je suis l’Humain que tu peux être, ton possible demain. Ce possible que, pour l’heure, nous voulons impossible. Et qui rend la condition de Réfugié suffisamment impensable pour que nous lui refusions, encore, son vrai Nom.
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