Ce matin, une question sur la Culture en tant qu’elle est d’une part, la Production du Sens, de l’autre, l’ensemble des moyens de préservation de la Vie.
Alors, ne peut-on concevoir que si l’Homme est cet être qui, parce qu’il se sait mortel, se veut nécessairement un « désirant-vivre », tous les humains, ceux d’hier comme d’aujourd’hui, puissent être considérés comme les contemporains les uns des autres ? De sorte qu’il n’y aurait, ici, pas moins de connaissance ni de sensibilité que nous ayons davantage en partage et qui ne transcende plus visiblement toutes les frontières qui nous séparent… que la connaissance – et la sensibilité -, de notre essentiel, humain, et sensé désirer-vivre? Et que cette transcendance vaille aussi pour un « au-delà de l’Histoire ? », annulant ainsi – et aussi, les frontières qui séparent les époques de l’Humanité?
Que supposerait une telle hypothèse ? Que la Culture n’est pas affaire d’Histoire, mais bien la plus grande aventure ontologique que les Hommes aient eu, aient à vivre ; aventure qui, si elle est séparable, et doit probablement être séparée de l’Histoire, – cette invention du 19ème siècle – , l’est au regard des finalités.
L’une, – l’Histoire, on l’a vue, depuis que l’idée de Progrès a été calcinée dans les fours crématoires, a définitivement perdue son droit au sens ; quant l’autre, – La Culture, au contraire, n’a rien perdu de son unique finalité.
De sorte que si la Culture contient les moyens de la perduration, l’Histoire comme telle, n’a jamais prétendu préserver la Vie ! L’Histoire, comme telle, peut même, au contraire, si les circonstances l’autorisent voire le réclament, devenir le ressort le plus puissant du ressentiment et de la haine entre les Hommes. Pour autant, séparer l’Histoire et la Culture suppose-t-il qu’il faille les opposer ? Non, bien sûr… Car s’il fallait à la Culture, trouver un ennemi, et dès lors que les frontières sont tombées pour tout le monde, si l’on peut dire…
Quel peut-il bien être le nom de cet ennemi juré ? De cet Adversaire, qui, s’il n’est pas le produit de l’Histoire, existe bien, lui aussi, depuis si longtemps qu’il chemine, de fait, aux côtés de la Culture, comme son plus terrible, son plus implacable envers… Comme ce qui voudrait scier, à leur base, ses deux vivants piliers. Comme un nom qui dit non, avec toute la violence, toute la brutalité, tout le mépris et le cynisme qui soient, au Sens et à la Vie. Considérons à présent qu’il vit, cet ennemi, qu’il est là, depuis qu’est là le désirer-vivre de l’Homme…
Ontologique, transhistorique, il est l’unique, le seul et le plus redoutable ennemi de l’Humanité. Agissant depuis que l’homme cherche les moyens de persévérer en son désirer-vivre, – pour lui, et avec les autres, du moins les siens, il est ce qui met tout en œuvre, puisant dans les moyens que lui offre l’époque, – des plus rudimentaires aux plus sophistiqués, et simultanément ! -, pour que l’Homme se perde, ne sache plus trouver sa place dans le monde. Et ainsi travaille-t-il, de jour comme de nuit, dans l’ombre ou la lumière, ce nihilisme, pour que l’Homme ne cesse de se voir empêché, de croire, de dire la parole, de refaire les gestes de la vie, de ce que le philosophe Michel Henry appelle « la vie vivante ».
Nihilisme perpétuel et se perpétuant, ruine de l’âme de l’Homme et du Monde, il est, de tout temps, – ce nihilisme, l’œuvre d’une même catégorie d’Hommes ayant en partage une passion et une fascination communes pour la mort, aimantés qu’ils sont par la destruction du Sens et de la Vie…
Considérons dès lors que la Culture n’aura eu, non pas dans l’Histoire, mais ontologiquement, qu’un seul véritable ennemi, agissant du fond et au fil des âges, dont le nom pourrait bien être celui de Nihilisme Transcendantal. C’est lui qui est à l’œuvre, chaque fois que le désir de Mort parvient à l’emporter sur celui de Vie, chaque fois que des Hommes se délectent du spectacle de la souffrance d’autrui. Et lorsque le Mal infligé, tant visible par son insoutenable cruauté, que rationnellement organisé, lorsqu’il celui-ci est partagé par le plus grand nombre, finit par arracher à la barbarie, qu’il dévoile, le sens de son agissement.
C’est sa marque, aussi, qu’il faut voir, lorsque des Hommes aiment à éprouver ce qu’il faudra ici appeler la Haine du sens, que celle-ci advienne subitement ou qu’elle prenne la forme d’un travail patient ; c’est sa marque qu’il faut voir, lorsqu’ils se prennent, ces mêmes Hommes, à désirer le chaos… Ou travaillent à en accélérer la venue.
De sorte qu’en son unicité, c’est bien lui, le Nihilisme Transcendantal, qui est toujours à l’œuvre à chaque fois que la préférence des Hommes va à la destruction du sens, de la vie. Et avec eux, de l’Humanité. Cette préférence, – qui doit bien être distinguée d’un penchant – peut expliquer que des sociétés – dites Traditionnelles – se soient laissées pervertir, laissées dicter des logiques meurtrières qui les conduisirent à commettre l’Infanticide, qui n’est autre que la destruction, de la Vie, à son commencement, et que la Culture – le sens et les moyens de la préservation de la Vie – ne saurait concevoir !
Comme elle peut expliquer, cette même préférence, qu’au vingtième siècle, des Hommes aient préférés à la morale kantienne, – pour laquelle l’Homme est une fin – l’organisation technique, bureaucratique du plus grand meurtre de masse que l’ère moderne ait connue…
Cette préférence – qui n’est ni le fait de ce qu’il nous faut bien appeler, la Tradition et/ou la Modernité, écrase ces deux-là… Leur opposition, – pour ce qui intéresse notre propos, reste l’un de ses jeux favoris ! Car cette préférence est la ruse la plus puissante du Nihilisme Transcendantal. Faisant que, de tout temps et partout, il est Là où la Haine du Sens l’emporte sur sa quête patiente et salvatrice de paroles et de gestes reconduisant, perpétuellement, le principe de Vie. De même que c’est lui qui opère toujours, lorsque de la Vulnérabilité et de la Mortalité, des Hommes ne veulent plus rien savoir.
Lorsqu’ils créent, de manière brutale ou subtile, les conditions de leurs dénégations.
Cette Haine, puissante, et d’une monstrueuse persévérance, elle invente à chaque fois ses propres raisons et produit la jubilation qui va de pair avec elles. Et que cette Haine soit le fait d’un Homme ou de Tous, d’un âge ou d’un autre ou en un lieu donné, elle n’est rien d’autre que le consentement au Mal, à la passion de la Mort, ces puissances dont la finalité première est de détruire les vivants piliers de la Culture…
Ainsi, du fond et au fil des âges, la grande aventure humaine fait-elle que l’Homme, en vérité, s’est toujours trouvé face au même choix ontologique : Celui du Sens et de la Vie ou celui de la Haine du Sens et de la Passion de la Mort.
C’est-à-dire, en vérité, le choix unique entre la Culture ou le Nihilisme.
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