À quoi servent les prisons ? Voilà la question qu’on doit se poser. Pendant longtemps, au Maroc, il ne s’est agi que de punir. Alors, aller en prison devait être, dans l’esprit de tous, douloureux, pénible et humiliant. C’est le jeu ma pauvre Lucette, il ne fallait pas fauter. Encore sur les réseaux sociaux, on trouve ce genre de commentaires. Pourtant, évidemment, dès que l’on prend un peu de recul, on comprend que l’idée d’un état vengeur est de courte vue : c’est que les gens qu’on met en prison sortent, au bout d’un moment. Et étrangement, être traités comme des bêtes ne les amènent pas à se réinsérer dans la société en bons pères de famille.
Alors, au moment où l’on démantèle réseau terroriste après réseau terroriste, alors qu’on sait la jeunesse en proie à une délinquance de plus en plus préoccupante, la question de savoir comment les prisonniers sont traités, comment on envisage de les relâcher dans la nature, dans quel état d’esprit, de santé, de santé mentale, même, devient absolument essentielle. C’est un pan de plus de la lutte contre le radicalisme, pour la sécurité du royaume et un avenir à la notion de vivre-ensemble, cette fameuse notion si difficile à mettre en œuvre quand tant et tant de tensions déchirent les villes. Un pan auquel tous les pays du monde réfléchissent, mais qui me paraît d’autant plus nécessaire au Maroc, du fait de sa situation sociale particulièrement difficile. Bref, un pan urgentissime, quoi que l’on pense des prisonniers et des raisons qui les ont amenées là. Alors, on en est où ?
Aujourd’hui, nous avons dans notre beau royaume un peu plus de 77 000 prisonniers, plus de 45 % d’entre eux sont en détention provisoire, parfois durant des années. Seulement 2,4 % d’entre eux sont des femmes, 2,5 % d’entre eux sont mineurs mais 80 % d’entre eux ont moins de 40 ans. Et pour soigner tout cela, nous avons 92 médecins, dont seulement 1 psychiatre, assisté de quelques 41 psychologues. C’est déjà pas mal, il y a 20 ans, il n’y en avait qu’un. Ce n’est pas suffisant, pourtant, parce qu’en prison, on trouve nombre de gens drogués ou ayant de graves problèmes d’instabilité mentale. Un certain nombre sont d’ailleurs reconnus irresponsables tellement on sait qu’ils sont fous à lier, pourtant, ils sont là et on en vient, selon les termes mêmes de responsables de la santé de l’administration pénitencière à punir pour soigner.
Pourtant, les choses bougent. Hier avait lieu la première journée de rencontre des psychologues intervenant en prison. Aujourd’hui, ils travaillent sur un manuel diagnostic spécifique pour les aider à prendre en compte les problèmes de santé mentale que l’enfermement amène dans son sillage. C’est que, en dehors de ceux qui devraient être avant tout pris en charge en HP et qui se retrouvent en prison, on a aussi tous les troubles provoqués par l’enfermement. Au point que ces 41 psychologues sont amenés à traiter 36 000 patients incarcérés. Pas tout à fait la moitié de la population des prisons, mais pas loin. Alors, si vous aviez fait le calcul rapidement, oui, cela fait quasiment 880 patients par psychologue, mais heureusement, pas tout à fait, il y a aussi des intervenants extérieurs conventionnés. Ceci dit, bien sûr, les psys manquent de moyens, manquent de prise en compte, manquent de possibilités thérapeutiques et une part des expériences pilotes réalisées en prison pour amener à la réinsertion dépend, encore et toujours des associations, qui font de l’art thérapie, amènent de la culture, de la méditation, du jardinage ou simplement de la discussion. Ne crachons pas dans la soupe : de grands progrès sont faits. Ne nous laissons pas aller au Bisounoursisme : de grands progrès sont à faire pour protéger nos sociétés de l’horreur et les prisons, si on ne veut pas qu’elles soient le chaudron de l’enfer sur terre, doivent être au cœur de notre réflexion.
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