À peine une dizaine de jours après les événements de Beyrouth et Paris, nous avons eu en rang serré toute une succession d’attentats. Au Mali, au Cameroun notamment. Et Bruxelles s’envoie des photos de chats sur les réseaux sociaux pour ne pas psychoter sur le #brusselslockdown, imposé par les forces de sécurité pour appréhender, avant qu’ils n’agissent, les terroristes qui menacent la capitale européenne. Bref, avec tout cela, on a une belle unanimité partout pour se déclarer en guerre contre Daesh, qui, une fois que vous avez la Russie et les États-Unis dans le même camp, devrait aller beaucoup plus vite. Bon, alors oui, la guerre, donc, mais après ?
Oui, bon, là, cet optimisme béat est un petit peu trop bisounours pour moi et pourtant, je suis la bisounours de toutes les bisounours, alors c’est dire ! Concrètement, qu’est-ce qu’il se passe une fois qu’on a rasé de la carte l’EI et que, à la place des ruines fumantes du prétendu Califat, on retrouve simplement les ruines fumantes de l’Irak et de la Syrie ?
Voyez, c’est là que, pas plus que notre cher ami Ron Wiesley ne l’était par la divination dans Harry Potter, je ne suis pas convaincue. Le truc, pour gagner les guerres, en particulier les guerres contre ceux qui, visiblement, se shootent de symbolique et de pulsion de mort, c’est de défendre des valeurs communes qui peuvent galvaniser et de l’idée que le monde sera meilleur une fois qu’elles auront triomphées, ces valeurs communes. Et là, si vous voulez, y’a un hic. Les fameuses valeurs universelles dont on se gargarise. Elles n’ont jamais été moins universelles qu’aujourd’hui. Et si tout le monde, après bien des valses-hésitations semble désormais d’accord pour dire que Daesh, ce sont les grands méchants, du côté des gentils, y’a pas vraiment d’avenir commun qui soit communément accepté. Eh oui, entre une Arabie Saoudite officiellement repentie, une Russie confortée dans sa position pro-Bachar, un Iran gaillard, une Europe la fleur au fusil, France en tête qui veut se venger, et garder son importance au Moyen-Orient et des États-Unis qui ne veulent toujours pas envoyer de troupes au sol, comment dire ? Ce n’est pas le même état d’esprit, quoi…
Ah ben oui, mais c’est que c’est important, parce que ce sont ces questions là qui ont permis à Daesh de se prendre pour un état il y a si longtemps déjà. Et si un embryon de valeurs communes n’est pas trouvé qui justifie qu’on s’allie pour de bon, on risque de continuer comme devant, la main sur le cœur, les larmes de crocodile aux coins des yeux, à regarder le chaos gagner du terrain en l’aidant, parfois, en sous-main.
Ou en tout cas, il pourrait l’être. Même au sein des sociétés, il importe de retrouver le sens de l’avenir, parce que pour l’instant, force est de constater que le but premier des terroristes, à savoir déchirer le peu de solidarité et de vivre-ensemble ayant résisté ces dernières années à la crise financière, alliée à une crise des valeurs, est largement atteint. Ici, on se dresse traditionnaliste VS occident moderniste, en Europe, on fait haro sur les musulmans de manière presque indiscriminée, etc. Bien entendu, partout où ces réflexes grégaires imbéciles ont lieu et triomphent, on perd le sens commun et c’est la pulsion de mort qui gagne. Rajoutez à cela l’absence de foi en des lendemains qui chantent en termes économiques – on nous prédit des crises de l’emploi qui vont durer une génération au moins, alors que les inégalités ne font que croître et que l’on prévoit déjà des crises migratoires de plus en plus dures dans les années à venir, du fait des guerres et du climat ! Nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
Hélas, j’ai l’impression que c’est partout, ça, voyez. Pas seulement en Russie. Alors, si l’on veut que la guerre que l’on engage aujourd’hui ait une chance de déboucher sur autre chose qu’une succession de guerres de plus en plus radicales, avec de plus en plus de candidats à la mort rédemptrice bien de chez nous, où que soit ce chez-nous, capables de se faire sauter avec tout plein d’innocents, il va falloir commencer à réfléchir au modèle de société que nous voulons en commun. Pas seulement à l’intérieur des pays-mêmes, encore que déjà, ça ne va pas être coton. Mais aussi, peut-être, en tant que communauté internationale refondée. Il va falloir laisser tomber le cynisme et accepter de voir enfin qu’il n’a pas plus de vertu de réalisme que l’optimisme béat. Il va falloir convaincre et en l’occurrence, ce n’est pas évident, que le pire n’est jamais certain et que vivre avec son voisin, pour différent qu’il soit, est bien moins offensant qu’on ne le croit et bien plus enrichissant. À tous points de vue. Il va falloir qu’on se remette à croire en l’humain avec ce qu’il a de fraternel et si tous les bisounours se tenaient par la patte. Il va falloir créer des ponts culturels, idéologiques en acceptant de se dire qu’on ne va pas être d’accord les uns avec les autres mais que peut-être, on pourrait tomber d’accord pour ne pas l’être de manière civilisée. Et il va falloir aussi réinventer l’économie de manière à ce que l’homme y retrouve sa place centrale, afin qu’il ne se sente pas impuissant à bâtir un avenir pour ses enfants.
Oui, ça paraît tout à fait utopique, ce que je dis, j’entends bien. Et, pris comme une seule tâche gigantesque, c’est impossible, tout comme le serait remplir le tonneau des Danaïdes. Cependant, on peut, peut-être commencer tout petit bout par tout petit bout. Et la première étape serait peut-être de se dire que, contrairement à ce qu’un certain fatalisme voudrait nous faire croire, demain n’est pas automatiquement la continuation d’aujourd’hui, en tout cas, pas si on identifie clairement les points de souffrance et de déchirures des sociétés et qu’on accepte d’y remédier. Par exemple, se dire que toute sa vie, on va trimer et être pauvre, c’est plus possible, il faut changer un système dans lequel l’immense majorité de l’humanité est perdante, parce que sinon, il sert à quoi ?
De même, se dire que parce qu’on a la foi ou bien des convictions morales fortes, on est le seul à détenir la raison et donc, on est en droit de vouloir l’imposer au voisin, c’est plus possible. Il faudrait, pour bien faire, non pas se dire que tout est relatif, parce que par définition, la foi ne peut pas l’être, mais se dire que tout est personnel et qu’on n’est pas en charge de sauver le voisin. Et pourtant, dans le même temps, recréer un système de valeur où l’individualisme ne vaudrait que pour le droit aux idées, tandis que dans la vie de tous les jours, la solidarité redeviendrait la norme. Oui, je sais, rien de tout cela n’est évident à inventer. Mais je vous assure que le pire n’est jamais certain. Et puis de toute façon, ce n’est pas comme si on avait le choix : on est au centre de la tourmente, désormais et la mort est partout. Si l’on veut vivre et que nous enfants vivent, il va falloir trouver des solutions.
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