Il y a seulement quelques années, pas plus de cinq, au fond… Le printemps arabe, cette saison qui soit, est loin derrière nous, soit, qui n’a pas encore commencé, ce moment, réel ou imaginé, était sur toutes les bouches… Il était de tous les débats, il habitait les esprits, les espoirs, vivait indifféremment partout, dans les rédactions, la terrasse des cafés… Dieu que le temps passe vite… Il faudrait, un jour, écrire l’histoire de cette saison, écrire les mémoires inassouvies de ce printemps, dont il fût dit qu’il fût Arabe !
Mais si, pour l’heure, le temps n’est pas venu de tenir ce journal, il n’est pas vain, car l’actualité le commande, de repenser au Printemps Égyptien… De cette Égypte d’avant l’embrasement. Supposée être la paroxystique. L’Égypte de Moubarak, celle qui, en vérité, se portait mieux économiquement que celle des cinq années qui l’avaient précédé, celle gouvernée au tison, par un régime qui n’avait pas compris que les égyptiens espéraient un peu mieux, que du pain et des narguilés, pour la boucler…
Les Égyptiens, en ce temps, à la fois si loin, et si proche, ceux qui sortirent sur la Place Tahrir, disaient, lorsqu’on leur posait la question, que ce qui comptait le plus, pour eux, c’était, au-delà de la prospérité, la question brûlante… de la Liberté, de l’Équité, de la Transparence… Ils parlaient, à partir de leur Histoire et dans leurs mots, oui, ils osaient prononcer le mot de Démocratie ! En ce temps, les égyptiens, comme dans un rêve politique collectif, évoquaient, les libertés individuelles, et l’idée qu’un gouvernement puisse rendre des comptes…
On dira, parce que les évènements, lorsqu’ils sont tragiques, n’accouchent d’aucune Histoire, d’aucun Evènement, – singulier -, que ce printemps d’Égypte fût celui d’un Orient qui rêva un peu d’Occident…
Des corps recevaient des balles, des coups, des aspirants à la Liberté donnaient à la photographie ses plus beaux clichés… On connaît la suite… L’islamisme, Morsi, la chute des islamistes… Le retour, non pas du refoulé, mais de l’armée. Non plus celui d’un général, mais bien d’un maréchal… Un bon vieux bonapartisme à l’Égyptienne… Et des pyramides, millénaires, aux pieds desquelles, quarante semaines suffirent pour contempler l’éternel retour du Même, le seul possible, au fond, celui du militaire. Oui, bien sûr, l’Histoire, l’universelle, si elle est un étal de boucher, est aussi, souvent, un étalage de redites. Le même, revient, en vérité, pour refaire les mêmes choses… Et l’on dira, pour ne pas changer, que c’est le Peuple, que ce sont les véritables égyptiens, – pas les femmes, ni les jeunes, trop modernes, trop rêveurs, trop désaxés pour ne pas être dépravés comme on est apatrides -, que c’est l’Homme vrai qui a réclamé le retour d’un grand chef galonné.
Et puis la réalité, qui rendra justice à la balance des paiements, seule justice possible, lorsque le vent de la Liberté, – cette chose trop abstraite, plus connue des livres que des Hommes, lorsque le souffle du commencement raté a fini de souffler…
Oui, comme le temps passe vite… Et comme il est loin, ce temps, ou les Égyptiens s’étaient rêvés capables d’écrire une Histoire autre ! Et comme il est si vite revenu, ce présent où l’Homme providentiel Égyptien vient en renfort de son ami Syrien… Comme un pèlerin épuisé qui marche sur ses genoux, le printemps Égyptien a pris le chemin de Damas.
Son échec sert, à n’en pas douter, les nouveaux desseins d’une Histoire, l’Histoire des peuples Arabes, dont beaucoup voudraient nous dire qu’elle n’existe que dans la tête de meurtriers à froid qui dessinent le Monde.
Pourtant, il n’est pas de mort qui, un jour, ne réclame pas le droit de juger ceux qui font que les peuples ne méritent que la violence, ou que leur soit appliquée la Théorie des Jeux…
Un jour, les enfants de ceux qui furent massacrés, démembrés, gazés par milliers ; les fils et les filles des égorgés, des violées, demanderont des comptes, et instruiront, à leur manière, le procès d’une ère où le cynisme et le crime prirent le nom d’interventions, de frappes chirurgicales, de droit d’ingérence, de tournées au Moyen-Orient, de cessez-le feu,…
Que diront-ils, que feront-ils, ces enfants dont on attend, comme s’il s’agissait d’une consigne, d’un ordre, d’une évidence d’une telle violence, qu’ils soient de bons résilients ? À quel cynisme médiatique seront-ils soumis ? À quel chantage, ou à quelle obscène empathie devront-ils répondre ? Quels éléments de langage se dresseront devant eux ? Quels experts statueront sur leur cas ? Oui, si le Printemps Arabe est vite passé, il viendra une saison qui brûlera comme la vérité.
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