Si «l’autorité vient d’en haut, la confiance vient d’en bas» disait l’abbé Sieyès.
Quand la confiance de ceux d’en bas s’érode, l’autorité et le pouvoir de ceux d’en haut vacillent. Tel semble le cas aujourd’hui où, un peu partout, une défiance sans précédent s’est installée entre les peuples et leurs gouvernants. Les élections américaines, bulgares ou moldaves en constituent les illustrations les plus récentes.
Cette défiance se traduit dans les pays en développement par un affaiblissement de la loi, du pays légal et un affermissement anarchique des pratiques et des particularités sociales et du pays réel. Alors même que pays légal et pays réel devrait se confondre totalement dans une société harmonieuse.
Plus grave encore, cette défiance entraîne une rupture, un divorce entre gouvernés et gouvernants au plan du discours et des valeurs. Quand ceux d’en haut parlent de légalité, ceux d’en bas parlent de licéité ou de légitimité.
On peut ainsi violer des règles légales explicites en souhaitant par exemple interdire l’accès d’un pays entier à toute une religion et être élu à la présidence parce que l’on parlerait vrai et que l’on soutiendrait le pays réel en défendant des objectifs peut-être pas légaux mais considérés comme licites et légitimes par le plus grand nombre.
Cette césure ne touche pas que le pays de l’obésité, elle se constate également au pays des rouleurs de semoules. Deux concepts apparemment synonymes, l’illicite et l’illégal, permettent de la caractériser.
Ces concepts semblent proches, pourtant, ils renvoient à l’heure actuelle et sous nos contrées ensoleillées à deux mondes différents, à deux aspirations différentes. Et le Maroc d’aujourd’hui, notre Maroc de 2016 hésite entre l’une et l’autre.
Dans le Maroc de 2016, l’illicéité s’entendrait principalement du caractère de ce qui est contraire à l’ordre public moral, traditionnel ou religieux, tandis que l’illégalité désigne le caractère de ce qui est contraire à la loi, à ce qu’elle défend, à ce qu’elle interdit ou prohibe.
Certains soutiennent même que seule la distinction entre le licite et l’illicite doit guider nos pas et ceux de la nation.
Ainsi, Feu Mouhcine Fikri s’est indiscutablement placé en dehors de la légalité en mettant sur le marché un poisson interdit à la vente mais de tels actes sont, pour la majorité de nos concitoyens, parfaitement licites. Il devait pouvoir vendre ce poisson et ce faisant échapper à sa condition sociale et faire vivre sa famille. Ceux qui l’en ont empêché au prétexte d’essayer de faire respecter la légalité seraient les vrais délinquants.
En plaçant en détention ces malheureux fonctionnaires, les autorités publiques n’ont pas cherché à guider l’opinion, à rappeler la Loi. Non, elles se sont contentées de suivre l’opinion, de faire du damage control comme on dit dans les milieux branchies… pardon branchés.
Les autorités maritimes et policières sont dans la légalité lorsqu’elles essaient de faire respecter la règlementation relative à l’interdiction de pêcher l’espadon mais dans le cœur et la tête des marocains il s’agit de hogra, d’une injustice car elles empêchent un citoyen de subvenir à ses besoins.
Des milliers de marocains ont envahi les rues pour manifester leur colère contre les autorités qui sont intervenues pour mettre fin à des pratiques illégales et pour soutenir Feu Mouhcine Fikri pourtant dans l’illégalité et ce peu importe que les combines, la contrebande et les marchés parallèles fassent finalement bien plus de victimes que les autorités quand elles essaient de faire respecter la Loi.
De la même manière, une très grande partie des marocains, et bizarrement des marocaines, s’est immédiatement solidarisée avec un Lam3allem mis en examen en France pour viol aggravé et à qui il est donc reproché des actions illégales au motif que la plaignante ayant accepté de le suivre dans sa chambre d’hôtel, il n’a donc commis aucune action illicite.
De la même manière, de nombreuses familles n’hésitent pas à marier leurs filles à peine pubères. Elles savent certes que ce n’est pas légal de marier des mineures mais elles considèrent que c’est licite et cela leur suffit.
Beaucoup parmi nous affirment n’avoir aucun scrupule à lyncher des voleurs ou châtier des homosexuels parce que pour eux il est licite d’agir ainsi même si de telles actions sont illégales.
Respecter la Loi quand bien même ce n’est que la Loi parce qu’elle est la manifestation de la volonté populaire et pour cette seule raison n’est pas encore totalement ancrée dans nos esprits.
Selon certains, la Loi n’a pas à être respectée si elle est en conflit avec une norme que l’on juge supérieure, avec une norme religieuse ou traditionnelle, avec cette conception du licite et de l’illicite si particulièrement ancrée au Maroc.
Beaucoup pensent que la loi n’est finalement que l’affaire des Hommes et que toute violation de cette Loi doit pouvoir être réparée par un simple baiser sur la tête, de savantes invocations ou un repentir actif. Contrairement à la loi de Dieu, qui elle doit être scrupuleusement respectée par toutes et tous à tout moment et dont chacun se sent le dépositaire.
Sophocle vit toujours dans l’esprit de nos concitoyens qui restent largement persuadés que les lois des Hommes n’ont pas assez de force pour interdire à un être mortel de faire valoir un droit octroyé par des décrets divins immuables.
Pourtant ce n’est que par l’indifférence au respect ou au non-respect par nos semblables de la loi de Dieu et par le strict respect des lois établies par les Hommes pour assurer l’harmonieuse cohabitation de tous que nous pourrons peut-être éviter qu’un drame comme celui d’Al Hoceima se reproduise.
Aussi imparfaite soit-elle, la loi humaine, qui a pour objet le bien commun et dont la discipline est un instrument de perfectionnement de la société, est notre seule chance de salut.
Saisissons-la.
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