L’heure n’est plus à la politique, mais au populisme. Elle n’est plus à l’idéologie, mais à la posture, aux réseaux sociaux, aux peuples déçus par les uns, les anciens et les classiques, et attirés par les autres, les nouveaux et les tribuns.
Et ce nouveau paradigme de la politique ne relève ni de religion, ni de géographie ni d’histoire ni de rien. Les peuples de tous les pays dépeuplent leurs scènes politiques et érigent en nouveaux héros, les tribuns populistes. Ces derniers leur disent à quoi prétendre et les détournent de ceux qu’ils ne veulent plus voir ou entendre, parce qu’il leur est désormais difficile de les comprendre.
La démocratie est passée par trois grandes phases, toutes tributaires de la technologie. Au commencement, il n’y avait rien, et les candidats à une élection sillonnaient leurs pays et parlaient beaucoup de la grandeur, du bonheur, de la richesse et de l’opulence, de puissance et de croissance, des pauvres et des marginalisés, des ostracisés, des précarisés aux rêves brisés. Ils étaient élus sur leur talent, sur leur capacité de faire et de bien faire…
Puis il y a eu la seconde phase, celle de la télévision et des médias de masse. Le niveau de l’élite politique a baissé autant que s’élargissait la capacité des politiques à communiquer plus en se déplaçant moins, à être là et être vu ailleurs. Cela avait coïncidé avec la fin des grandes idéologies et le début du populisme et des populistes à leurs débuts.
Puis, la troisième phase a commencé avec la mort du 20ème siècle, et avec lui la fin des grands leaders charismatiques, ceux qui connaissaient le peuple et savaient lui parler de ses attentes, de leurs objectifs, des grands enjeux et des petits détails. Et arrivèrent les réseaux sociaux, qui permirent à tous d’être là, présents, exigeants, agissant et interagissant. Le discours politique s’est tassé et les leaders populistes se sont lissés, multipliés, et ils se sont pliés aux attentes faciles et souvent malsaines des peuples. Ils ont délaissé les grandes idées et ont cherché des boucs émissaires à des problèmes qui étaient dus à un changement dans la politique mondiale et dans la communication globalisée, où l’individu ne compte plus et où seuls les grands comptes de la nation et les règlements de compte ont droit de cité.
C’est cela le populisme, une exaltation de la nation comme “communauté virtuelle” qui devrait dépasser l’individualisme : chacun est appelé à renoncer à ses préférences intimes ou publiques pour se fondre dans un ensemble collectif qui le dépasse.
2008 fut l’année de rupture, avec les changements majeurs qui sont intervenus dans le monde. La fin des années d’euphorie du début des années 2000, une crise financière, devenue impasse économique, puis bouleversement social, avec l’apparition concomitante des réseaux sociaux, et le repli identitaire et nationaliste sur soi. Et c’est là qu’il y a eu la formidable intrusion des dirigeants populistes et simplistes dans la vie des gens, tétanisés par la peur de la pauvreté, la peur de l’Autre, l’intolérance envers tout ce qui n’était pas connu.
A de nombreux égards l’époque que nous vivons est passionnante : pris dans un entre-deux historique, nous quittons progressivement les rivages de l’ancien monde pour prendre la route vers une destination dont nous n’avons pas encore dessiné l’horizon. L’inconnu s’accompagne immanquablement de craintes et d’angoisses. L’opinion se fait et se défait, au gré des peurs et des haines intestines, pour mieux se replier sur l’illusion de son identité immuable. Les partis populistes se lèchent les babines, mangent avec voracité ce pain béni. Trump et Farage aujourd’hui, Le Pen demain et chez nous Benkirane pour encore longtemps. Il faudra sans doute accepter de toucher le fond pour mieux rebondir.
Chez nous, au Maroc, le populisme a également fait une entrée fracassante, marchant allègrement sur nos certitudes et bousculant nos attitudes.
Le conservatisme social et religieux a été instrumentalisé par les politiques, et amplifié par internet, au point que nous n’entendons plus l’Autre, pas plus que nous lui parlons. C’est à celui qui criera le plus, qui sera le plus fort, qui s’ancrera plus et marquera le mieux. Les politiques sont venus naviguer sur cette vague monstrueuse qui nous submerge et nous divise.
Qu’ils soient conservateurs ou plus ouverts sur leur monde contemporain, chez nous, de droite ou de gauche, ailleurs, les partis populistes partagent un ADN politique identique dans la forme, qui est celui de l’universalité de l’intention et de la trivialité de l’ambition. Cette horizontalité rappelle d’autres formats de participation directe et populaire. Et de la grande lessiveuse des réseaux sociaux, les populistes sortent toujours gagnants.
Malgré l’anarchie qui règne sur Internet, la disponibilité de l’information et la prise de parole libre donnent accès à chaque citoyen aux débats publics. En théorie cette oxygénation politique est une bonne nouvelle pour la démocratie. Mais en pratique, elle est ravageuse car les populistes s’adressent à la grande majorité silencieuse, les laissés pour compte qui aspirent à être écoutés et qui sont animés par un sentiment diffus, un mélange de rancœur et de vengeance sur une société qui les a oubliés. Une masse de gens, moralement dépenaillés, mentalement égarés, psychologiquement débraillés, qui transfèrent leur refoulement sur des leaders populistes, lesquels sont, en règle générale, agressifs et vindicatifs.
Mais heureusement la politique a sa force d’inertie et sa capacité de résilience, qui finit tôt ou tard par reprendre le dessus. On l’a vu avec Syriza qui s’est soumis au diktat européen, Podemos qui a commencé à composer avec l’establishment espagnol, même discrètement, et Trump qui commence déjà à revenir sur des thèmes qui ont fait son succès. Et chez nous, avec Benkirane qui renonce à ses certitudes, submergé par la realpolitik, comme le seront tous les autres.
L’espoir démocratique reste donc permis, mais la traversée du désert populiste est inévitable.
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