Notre pays vit à l’heure d’une mutation profonde.
Un bouleversement tel qu’il n’en a pas vécu depuis près d’un siècle.
D’une société qui fût longtemps une société dite traditionnelle, il devient une société qui doit s’inventer. Et ce, sans pour autant y être symboliquement préparée : le discours explicatif fait encore défaut.
Ce moment, pour autant qu’il soit difficile à cerner, nécessite cependant une grande vigilance, car il induit de nouveaux comportements, de nouveaux types de représentation. Un nouvel imaginaire se crée, sous nos yeux… Nous poussant aussi, à regarder en arrière, d’où nous venons.
Si l’on devait entrer un peu dans le détail, et si l’on devait rappeler ce qu’est la société – traditionnelle – que nous laissons derrière nous, de manière irrémédiable, nous dirions qu’une société traditionnelle suppose que les rôles, les fonctions, soient fixes.
Chacun sait ce qu’il est, où est sa place. Et cela va de la place du Père, de la Mère, des Enfants, à celle de l’Imam, du Commerçant, etc. Dans une telle société, les identités sont, pour la plupart, clairement définies et les clivages sont visibles. Les espaces sont répartis, et chacun se trouve « bien à sa place », cela vaut aussi pour le riche et le pauvre. Les mots disent les choses de sorte qu’elles permettent à chacun d’accepter sa position, quelle qu’elle soit.
Cette société, nous la quittons…
Et cela défini le Moment crucial que nous vivons : un moment de mutations, de bouleversements, de redéfinition de nouveaux rôles, de nouvelles fonctions, de nouveaux espaces aussi.
Ce Moment que nous vivons présente des aspects extrêmement positifs, comme il engendre des peurs, des replis… car c’est le moment où notre société est traversée autant par un désir d’affirmation de ce qu’elle veut devenir, – cela pose la question de l’Émancipation, – que par le désir de régression qui doit s’entendre comme un profond besoin d’être rassuré sur ses bases aussi bien anthropologiques que symboliques. Cela est le propre des grandes transformations.
Cette transformation intéresse au premier plan les questionnements des citoyens, comme elle est, en principe ce qui doit fonder le travail des intellectuels. Et l’action des politiques qui doivent tenir un discours de Responsabilité.
Car le croisement de ces trois niveaux, avec les conflits qu’il voit émerger suppose que la société à venir se fabrique sous nos yeux. Cette « production » nous concerne tous et elle nous impose de construire un « socle commun », à partir duquel nos différences deviennent des richesses véritables.
Ne pas comprendre cet aspect c’est se condamner à des oppositions, des violences, dont notre société n’a pas besoin. Là encore, le Discours de Responsabilité devient une exigence, un impératif politique.
Alors, quels sont, de prime, de prime abord, les éléments les plus essentiels d’un Discours de Responsabilité.
D’abord : Faire prendre conscience du Moment que nous vivons : il appartiendra aux Citoyens Responsables, aux Politiques Responsables et aux Intellectuels Responsables de nous situer tous dans ce Moment, de dire la Situation qui est la nôtre : de signifier le passage que nous traversons. C’est là un élément-clé, prépondérant à la discussion politique et sociale que notre société exige.
Expliquer notre transformation à des catégories en état d’affrontement symbolique : il va de soit que la mutation que vit notre pays voit des imaginaires sociaux s’affronter sur le choix de la « société idéale ». Qu’elle soit puritaine ou émancipée, cette société est encore en état de gestation et elle demeure entièrement fantasmée, tant par les uns que par les autres. Pour autant, ceux qui luttent symboliquement pour « la société parfaite » se rendront bien vite compte que leurs affrontements sont inutiles et à terme, dangereux.
Faire qu’Opposition ne signifie pas Division. En effet, la caractéristique majeure du discours populiste consiste à enfermer l’Autre dans une catégorie le plus souvent situé en dehors de l’espace politique, c’est-à-dire de la Complexité du Réel.
Dans une société comme la nôtre, – qui, rappelons-le, reste conservatrice dans ses apparences plus que dans ses pratiques et ses mœurs -, la ligne de partage entre les Vrais et les Faux, le Vice et la Vertu devient malheureusement le moyen d’éviter les vraies questions et de produire des Unités négatives, elles permettent à des groupes mêmes différents dans leurs croyances de s’entendre contre un ennemi commun. L’alliance de l’Adl wa l’ihssane et de son « union négative » avec la Gauche radicale fait partie des exemples qu’on peut citer. Cette « unité négative » se retrouve dans d’autres sociétés, dont la française.
Mais jouer de la Division est devenu une « technique d’évitement » dangereuse, et qui a désormais des effets dans la parole quotidienne. Les réseaux sociaux en témoignent chaque jour, à chaque minute. Tout ceci a pour effet direct de provoquer la confusion et permettent à l’irrationnel de prendre le pouvoir sur les esprits.
En résumé, le Discours de Responsabilité est une urgence, une thérapeutique… Une éthique.
Il en va du devenir de notre pays, de l’avenir des générations futures qui doivent entendre une parole politique en mesure de produire les bases à la fois théoriques mais aussi sociales, économiques, culturelles de la société marocaine de demain.
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