L’Arabie Saoudite, l’Égypte, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn, le Yémen et même les Maldives, ont récemment rompu toute relation diplomatique et même économique avec le petit Emirat du Qatar. Il y a de quoi verser une larme mais pas tellement. Car il est évident qu’en accusant le Qatar de soutenir le terrorisme international, l’Arabie Saoudite fait figure d’un hôpital qui se moquerait de la charité. Mais cela étant dit, il parait indispensable de mettre la lumière sur le rôle central que joue le Qatar dans le grand échiquier de la géopolitique régionale.
Puisque dans la région, nous avons affaire à deux types de réseaux terroristes et d’influence idéologique. On a d’un coté l’Arabie Saoudite qui, après avoir soutenue financièrement les « Frères musulmans » pendant des décennies, principalement pour contrer et déstabiliser les Etats arabes laïcs issus du panarabisme, le Royaume a fini par les lâcher au début des années 1990, effrayé par le potentiel révolutionnaire que ce mouvement représente pour les monarchies absolues du Golf.
Le Royaume wahhabite, décida alors de s’appuyer exclusivement sur la doctrine « Wahhabite », plus archaïque et plus manipulable que le confrérisme musulman, pour étendre son influence dans le monde musulman, et pour fournir des groupuscules jihadistes comme « légion arabe » ou comme « chaire à canon » aux renseignements anglo-américains, comme ce fut le cas en Afghanistan, puis un peu plus tard en Syrie. L’Arabie Saoudite jouera donc le rôle de matrice idéologique du terrorisme avec le Wahhabisme, et de banque de financement du pseudo-jihadisme international. Quant au parrainage de l’organisation des Frères musulmans, il revint naturellement au Qatar.
Et c’est sur le petit Emirat d’onze mille km2 mais avec des richesses quasi-illimitées que l’Etat profond anglo-américain s’appuiera jusqu’à très récemment, pour mettre en place tout un réseau d’influence et de combat dans la région autour des Frères musulmans, et qu’il activera lors des révoltes qualifiées de « printemps arabes », qui donnèrent lieu, à différents degrés et selon différentes modalités, à la montée au pouvoir des Frères musulmans, avec Ennahda en Tunisie, le PJD au Maroc et le parti « Liberté et Justice » en Egypte.
Tandis que d’autres pays comme en Libye et en Syrie, cela a donné lieu à des guerres civiles atroces, où les Frères musulmans se sont structurés avec l’appui logistique, financier et médiatique occidentalo-qatari en organisation combattante, qui prendra en Syrie le nom d’Armée Syrienne Libre, et qui n’a de libre que le nom. Le Qatar est devenu ainsi le Vatican du confrérisme musulman, notamment en abritant l’actuel pape du mouvement, à savoir Youssef Al Qaradawwi, ainsi que bon nombre de leaders du Hamas et d’autres groupes confréristes qui y ont trouvé asile, ainsi qu’en Turquie et à la maison mère, c’est-à-dire au Royaume-Uni.
L’idée derrière cette stratégie étant de préparer le démembrement de tous les Etats arabes de la région sur une base ethno-confessionnel comme c’est prévu dans le plan Yinon, en exacerbant les tensions communautaires sur une base ethno-religieuse, grâce à l’inexpérience économique, à l’aveuglement doctrinaire et à la stigmatisation et à la persécution des minorités religieuses par les frères musulmans dans ces pays.
Ce fut le cas par exemple avec les chrétiens coptes en Egypte sous la résidence de Morsi, situation qui a failli aboutir à une guerre civile dans le pays, empêchée in extremis par le sanglant coup d’Etat opéré par le Maréchal Al Sissi, coup d’Etat qui fut souhaité, applaudi et soutenu par l’Arabie Saoudite et les EAU, et naturellement condamné par le Qatar, la Turquie et… l’Iran, mais c’est une autre histoire.
Car que la Tunisie tombe entre les mains des Frères musulmans, cela n’a pas d’impact majeur sur la géopolitique dans la région ou sur la stabilité des régimes des monarchies du golfe. Mais que l’Égypte avec son histoire, ses 90 millions d’habitants et sa redoutable armée tombe entre les mains de la confrérie, qui finira tôt ou tard par revendiquer le leadership du monde sunnite au détriment de l’Arabie Saoudite, cela est impensable.
Ajoutant à cela le fait qu’après la chute de Morsi, l’Armée Égyptienne a annoncé avoir mis la main sur un plan de coup d’Etat préparé contre les Saoud par l’organisation des Frères musulmans, et qui avait donné lieu en 2014 à une grave crise diplomatique entre le Royaume et le Qatar. Cependant, ce qui empêcha à l’époque le Royaume Wahhabite de réagir violemment face au Qatar comme c’est le cas actuellement, s’explique par le fait que la diplomatie américaine sous Obama, était en train d’opérer un revirement d’alliance au profit de l’Iran et au détriment de l’Arabie Saoudite, n’offrant donc aucun soutien et aucune marge de manœuvre à Ryad face au Qatar.
Mais avec la visite de Trump et le renouvellement sous condition du principe de l’accord de Quincy qui garantit une protection militaire américaine au Royaume, l’Arabie Saoudite a désormais les mains libres pour faire le ménage dans la péninsule, en tentant de vassalisé le petit Emirat. Le bras de fer entre Donald Trump et l’Etat profond américain s’est ainsi déplacé au Moyen-Orient, où Trump cherche à priver ce dernier de l’un de ses bras armés, en exigeant de l’Arabie Saoudite d’abandonner son réseau de terrorisme d’obédience Wahhabite, en contre partie d’un revirement d’alliance dans la région qui se traduira par une hostilité américaine vis-à-vis de l’Iran et le maintien de l’accord de Quincy.
Quant à l’Iran de Rohani, il a vu dans l’organisation des Frères musulmans dans une dialectique schmittienne d’ « ennemis premiers / ennemis secondaires », une possibilité de déstabiliser son pire ennemi dans la région, à savoir l’Arabie Saoudite, en soutenant tacitement et jusqu’à présent symboliquement les Frères musulmans. Car, malgré une opposition fondamentale entre le sunnisme des Frères musulmans et le chiisme duodécimain iranien, des affinités et des proximités cognitives sur le plan politique existent, puisque les deux sont pour le concept de république islamique, et donc contre les monarchies héréditaires.
Donc en essayant de mettre fin à la stratégie du chaos contrôlé dans la région voulue aussi bien par l’oligarchie anglo-américaine que par le lobby sioniste, Trump mise sur la restauration de la stabilité des Etats dans leurs frontières actuelles, qu’ils soient démocratiques ou non, en mettant sur le banc des accusés, le Qatar, l’Iran pour les raisons évoquées précédemment, et dans un premier temps l’Arabie Saoudite, qui a fini par accepter docilement et avec enthousiasme les nouvelles règles du jeu. Quant au Qatar, il ne fait que payer le prix d’un proxénétisme géopolitique qui se retourne désormais contre lui, faisant du petit Emirat le Cocu de la région.
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