Le monde musulman souffre d’un mal. D’un mal profond.
Ce mal, dont les symptômes sont pluriels (Daesh, Boko Haram, Aqmi,..) porte un nom, ou même plusieurs. Qualifié de « Wahhabisme », de « Salafisme » ou d’ « Islamisme radical », il s’agit avant tout d’un imaginaire venu d’ailleurs, d’un imaginaire aride.
Car depuis que la « modernité » s’est installée en terre d’Islam sans y être réellement invitée, soit par effet de diffusion ou par effraction comme durant l’épopée coloniale, l’Islam traditionnel et enraciné, a été progressivement écarté de la sphère politique et sociale, pour être refoulé dans les profondeurs abyssales de l’Imaginaire des peuples musulmans, y rejoignant l’Islam gnostique qu’est le soufisme, et l’Islam folklorique ou ethno-mythologique.
Ce coup d’Etat métaphysique, car c’est ainsi qu’il faut le nommer, a permis au paradigme « moderne » de s’imposer en tant qu’unique système normatif, trônant au dessus d’un « imaginaire » à deux étages, ou à deux paliers en profondeur.
En haut, la « modernité », impose sa lecture moderne de la « société contractuelle et individualiste ». C’est la « Gesellschaft » telle que théorisée par Ferdinand Tönnies, qui a remplacé la « Gemeinschaft », c’est-à-dire la « communauté traditionnelle religieuse, familiale et solidaire ».
Puis en bas, au niveau du premier palier en profondeur, on retrouve l’ « Islam traditionnel », détrôné, et désormais castré par la modernité, mais toléré en tant qu’imaginaire, du moins pour un certain temps, mais en se voyant strictement interdit le statut de « force normative ». Et si on creuse davantage, au niveau du dernier palier de l’imaginaire dans les méandres de l’inconscient collectif, on trouve le soufisme et l’ethno-mythologie de l’islam folklorique, sympathiques et exotiques aux yeux du « moderne », tel un animal de foire.
Devant cette « chimère sociologique », le « Salafisme » se présente sans peine comme un nouveau « logos musulman », puisant sa légitimité dans la pureté et la candeur d’un passé phantasmé, et dans les mythes et archétypes guerriers des premiers compagnons, les « Sahabas ».
Tenues en respect pendant des siècles par la « tradition islamique » ou devrais-je dire par les « traditions islamiques », les matrices originelles du « salafisme » et du « wahhabisme », que furent le « hanbalisme » et le « kharidjisme », étaient des épiphénomènes marginaux, considérés par certains grands théologiens de l’époque comme des doctrines hérétiques. Ibn Hanbal a bien été fouetté en place publique sous le règne du Calife « Al Mamun », tandis qu’Ibn Taymiya a fini ses jours dans les sombres geôles de Damas. Mais en castrant la tradition, en déracinant les musulmans et en les atomisant dans une dynamique de permanente humiliation, la « modernité » a ouvert la boîte de pandore du ressentiment et de l’Imaginaire « salafiste », sorti tout droit du « tartare » de l’imaginaire désertique, de cette région stérile de « Najd », qu’un hadith assez gênant pour certains situe comme étant la terre dont sortira la corne du diable à la fin des temps. Cependant, il est vital d’admettre que le wahhabisme germait déjà dans la tradition musulmane, embusqué dans le vaste corpus apocryphe de « hadiths » labellisés comme « Sahih », que l’on s’interdit toujours de réviser sous couvert de sacralité, et qui ne cesse d’étouffer le Coran depuis des siècles.
Le « wahhabisme » se présente donc aujourd’hui comme un « logos islamique » alternatif, aussi bien à la « modernité » qu’à « l’islam traditionnel enraciné», proposant un nouveau « Gemeinschaft », une nouvelle « communauté des croyants », celle de la « Oumma » et du « Grand Califat ».
Dans cet imaginaire hors-temps et hors-sol, dans ce simulacre religieux où il s’agit de reproduire de manière théâtrale les premiers temps de l’Islam, les « Chiites » sont par exemple assimilés aux « perses zoroastriens », les occidentaux aux « Rum », et les « Soufis » aux « polythéistes » de la Mecque.
Nous sommes donc au final les otages et les prisonniers gnoséologiques de deux paradigmes hors-sol, de deux modèles normatifs importés et en apparence opposés, mais pas tant que cela, de la « modernité occidentale » et de l’« imaginaire Salafiste », les deux se voulant absolus, hégémoniques, pures et déracinant. Nous sommes sommés de choisir entre le « vaux d’or » et le « cimeterre » !
Et dans cette perspective, s’appuyer sur le « soufisme folklorique » comme rempart au « Salafisme », tout en ouvrant des boulevards à la « modernité », c’est s’enliser davantage dans le sable mouvant du fanatisme, de l’absurde et du chaos.
Car notre salut ne peut provenir que de la naissance d’un nouveau « bassin sémantique », qui naîtrait de la convergence et de la confluence de ruissèlements culturels, qui puiseraient leurs sources dans les profondeurs de nos racines historiques marocaines et africaines, et dans les hautes cimes de nos valeurs ancestrales, redonnant ainsi vie à un imaginaire de plus en plus aride.
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