Il y a de ces héros, semblables à des livres que tout le monde commente sans les avoirs lu. Ou tout au plus en les ayant mal lu, ou partiellement. Triste destin pour ces ouvrages que de servir de bouche-trou dans une bibliothèque. Il en va de même pour certaines figures centrales de notre histoire, à qui l’on daigne accorder le nom d’une ruelle, ou tout au plus d’un boulevard.
À environ 5 km du lieu où s’est tenue la COP 22, dans la prestigieuse cité impériale de Marrakech, repose ou git à en juger par l’état du mausolée, le corps d’un saint-homme, d’un fondateur d’empire, d’un guerrier et d’un homme de Dieu, dans un mausolée délabré, entretenu par une vieille et valeureuse dame qui vit dans la précarité la plus totale. Il s’agit de Youssef Ibn Tachfine, qui fait partie de ces célèbres inconnus. Un oxymore qui en dit long sur l’image caricaturale que l’on a du personnage et que l’on réduit souvent au fondateur de Marrakech et au vainqueur de la bataille d’Al Zalaqa.
Fondateur d’un empire qui s’étendait du Sénégal à l’Andalousie, Youssef Ibn Tachfine qui était également un lettré et un homme de Dieu, a jeté les bases de ce qui va devenir un empire fédérateur et structuré. Il fut la première étincelle d’une « passionarité » marocaine, cette « passionarité » que Lev Gumilev décrit comme une « énergie vitale » qui peut se manifester à une époque donnée en un « homme », un « héro », qui incarne la première étincelle d’une « passion » contagieuse, qui en lançant un défi à la mort et à l’adversité, permet l’émergence d’un empire et l’enclenchement d’une ethnogenèse, de l’ethnogenèse du peuple marocain, pluriel, uni et fier de son histoire.
Youssef Ibn Tashfin faisait incontestablement partie de ces élus, et son héritage, continue de nourrir notre imaginaire et notre identité. Objet d’un pèlerinage symbolique et historique, son mausolée est entouré de mythes et légendes. Ainsi, la légende veut qu’aucune des coupoles bâties en son honneur n’ait résisté, et qu’une mystérieuse force intervient à chaque fois de nuit, comme pour ajouter au mystère, pour réduire à néant toute obstacle entre le saint, et la seule coupole qui lui sied, à savoir le ciel infini.
Mais ayant vécu dans l’austérité et la piété d’un saint, il ne s’agit aucunement d’ériger un mausolée pharaonique, mais tout simplement de perpétuer sa mémoire dans l’esprit de cette jeune génération de marocains, de plus en plus déracinée et déconnectée de nos ancêtres, de nos héros et de nos archétypes. Car la finalité d’un mausolée, au-delà du simple recueillement et de la recherche de la « baraka », c’est de rappeler au quotidien sur un plan terrestre en apportant la preuve vivante et matérialisée, qu’il est possible d’incarner ici-bas des valeurs morales et spirituelles supérieures, qui constituent le socle de valeurs de notre marocanité. Les mausolées sont ainsi des canaux spirituels qui nous relient en permanence avec nos archétypes.
Mais il s’agit également d’assurer la dignité de ceux qui ont le privilège et l’honneur d’en prendre soin quotidiennement, et qui vivent dans la précarité, sans que la relève ne soit assurée. Et n’oublions pas qu’un homme peut mourir deux fois, physiquement ici-bas mais aussi dans notre mémoire. Et honte à nous si ce jour venait à advenir.
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